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torrent ; les eaux, retenues par cette digue infranchissable, s’accumulent sous le glacier et dans les crevasses qui le traversent ; des craquemens intérieurs se font entendre ; le torrent change de couleur, passant du blanc au jaune et au noir, et il arrive un moment où la débâcle a lieu. Alors un mélange d’eau, de glace, de pierres et de boue se précipite à travers la gorge, atteint la vallée du Terek, et intercepte la grande route stratégique par laquelle la Russie communique, à travers le Caucase, avec la Géorgie. Dubois de Montpereux a vu en 1834 les restes de l’avalanche de 1832 : ils formaient encore sur les côtés de la route deux escarpemens puissans, composés de fragmens de glace, de blocs de rochers et de cailloux qui, se détachant sous l’influence du dégel, menaçaient la vie du voyageur. Les eaux invisibles du Terek grondaient sous ces amas, à travers lesquels elles s’étaient frayé un passage souterrain sans pouvoir les entraîner. La circulation fut interrompue pendant deux ans. Une nouvelle débâcle eut lieu le 24 novembre 1842 ; mais elle n’atteignit pas la vallée du Terek. Le 20 juillet 1855, la masse de glace se sépara du glacier, elle s’élevait de 213 mètres de hauteur à l’entrée de la gorge ; l’eau n’eut pas la force de l’entraîner. Tels sont les faits que les observations de Kolenati, du colonel du génie Statkowski, de M. Ernest Favre, de Genève, et de M. Abich ont successivement révélés et éclaircis.

La neige, avons-nous dit, répare pendant l’hiver les pertes que le glacier a faites pendant l’été par suite de sa fusion et de son évaporation. La théorie indiquait un autre mode de réparation ; mais l’expérience n’avait pas parlé, et toute estimation numérique était impossible. Cette lacune vient d’être comblée. Les glaciers sont d’immenses réfrigérants, car la température de leur surface est toujours à zéro ou au-dessous de zéro. De même qu’une carafe d’eau frappée se couvre de rosée pendant l’été, de même les glaciers doivent condenser et condensent en effet la vapeur d’eau dont l’atmosphère est toujours chargée. Deux professeurs de l’académie de Lausanne, MM. Dufour et A. Forel, ont voulu se rendre compte de l’importance de cette condensation. Après des expériences préalables faites au bord du lac Léman avec des bassins de cuivre remplis de fragmens de glace et ayant 200 centimètres carrés de surface, ils se sont transportés sur le glacier du Rhône en juillet 1870. Leur premier soin fut de creuser une grotte dans la paroi verticale d’une crevasse, afin de mettre leur balance à l’abri du vent ; puis ils ont repris les expériences des bords du lac dans l’atmosphère même qui baigne la surface du glacier. L’augmentation de poids du bassin, rempli de glace, exposé à l’air pendant un temps variable, leur indiquait la quantité de vapeur d’eau condensée par la