inondant les continens. Romanciers scientifiques, ils accommodaient les faits à leurs théories, et niaient cette période glaciaire qui formait une dissonance fâcheuse dans l’harmonie de leurs conceptions systématiques ; abusés par leur imagination, ils croyaient savoir ce qu’en réalité on ignore encore complétement aujourd’hui. Toutefois leur labeur n’a pas été entièrement inutile, il a servi de leçon à la génération patiente et réservée qui leur a succédé. La géologie, pour parler le langage d’Auguste Comte, est sortie de sa période théologique pour entrer résolument dans celle de l’observation des faits, fécondée par des méthodes d’induction et de comparaison rationnelles.
Les pays jadis occupés par les glaciers présentent çà et là des cavités singulières qui avaient déjà attiré l’attention des premiers observateurs ; ce sont les cavités désignées sous le nom de marmites de géant (giants kettles). Imaginez un trou vertical en forme de cône renversé à ouverture circulaire ou elliptique creusé dans la roche vive et contenant des cailloux plus ou moins arrondis, mais toujours étrangers au sol environnant. De pareils trous se voient dans nos rivières et dans nos torrens sur les points où l’eau tombe en cascade et même là où elle est seulement animée d’une grande vitesse. Je les ai vus dans l’Arve, à l’issue de la vallée de Chamounix, à la cascade de l’Aar, appelée la Handeck, et avec un peu d’attention on les retrouvera dans le lit de toutes les rivières torrentielles coulant sur un fond rocheux. En Suède, en Norvége et en Écosse, ces marmites de géant existent sur des points éloignés de toute rivière et à toutes les altitudes, depuis le bord de la mer jusqu’à 400 mètres au-dessus de son niveau. Quelques-unes n’ont que 2 ou 3 décimètres de diamètre à leur ouverture et autant de profondeur ; mais d’autres ont 2 ou 3 mètres de diamètre et une profondeur relativement aussi grande ; ils contiennent du sable et des cailloux arrondis de grosseur différente, de nature variée, mais provenant tous de localités plus ou moins éloignées. M. Kjerulf, professeur de géologie à l’université de Christiania, et ses élèves, MM. Brögger et Reusch[1], ont étudié récemment avec beaucoup d’attention les marmites de géant des environs de cette ville ; ils les ont vidées et se sont assurés que l’intérieur du cône est lisse et creusé en hélice, résultat dû à l’action de l’eau qui imprimait un mouvement de rotation hélicoïde aux pierres contenues dans la marmite. C’est ce mouvement qui, continué pendant de longues années, creuse les roches les plus dures. Charpentier, Agassiz et von Post avaient rattaché l’existence de ces cavités à celle des an-
- ↑ The quarterly Journal of the geological Society of London, december 1874.