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retourna l’année suivante en Espagne, et il eut l’occasion de se rendre avec son frère, lord William Russell, au quartier-général de lord Wellington, qui occupait alors les lignes de Torres-Vedras. « Je n’ai jamais été plus saisi, dit-il, que par le spectacle physique, militaire et politique qui se déroulait devant moi. Sur la hauteur la plus élevée, et dominant tout le pays, était le général anglais, avec ses yeux perçans et inquisiteurs comme ceux d’un aigle, une contenance pleine d’espoir et de joie intelligente, décelant avec une perception rapide chaque mouvement des troupes, chaque changement dans toute l’étendue de l’horizon. De chaque côté du fort de Sobral étaient les retranchemens des alliés, avec leurs canons brillans, et animés par les troupes qui formaient la garnison de cette importante position. A gauche, les falaises s’élevaient doucement, et la ligne de Torres-Vedras se montrait au loin. Sous nos pieds, sur une grande étendue de coteaux et de vallons, d’éminences et de plaines, étaient les positions de l’armée française. Les villages étaient pleins de soldats ; les ailes blanches des moulins à vent portugais tournaient rapidement pour fournir de la farine à l’armée d’invasion. C’est là qu’était l’avant-garde des légions conquérantes de la France ; ici la barrière vivante de l’Angleterre, de l’Espagne, du Portugal, se préparait à arrêter le flot destructeur et à préserver du déluge la liberté et l’indépendance de trois nations armées. Ce spectacle me remplit d’admiration, de confiance et d’espoir. » Il ne devait jamais l’oublier : toute sa vie, le nom de Bonaparte excita en lui une colère mêlée de fierté. Jamais il ne partagea l’enthousiasme de certains whigs pour celui qui avait promené ses aigles dans toute l’Europe et défié l’Angleterre.

Après avoir achevé ses études à Edimbourg chez le professeur Playfair, « le plus noble, le plus droit, le plus bienveillant et le plus libéral des philosophes, » il retourna encore en Espagne. Cette fois il visita lord Wellington à son quartier-général dans les Pyrénées, non plus acculé comme un animal aux abois, mais prêt à porter l’invasion en France. Il admire la discipline de l’armée, le calme du chef, cette âme ferme dont il dit comme Ovide, en parlant de Cadmus prêt à rencontrer le dragon :

Teloque animus præstantior ullo.


Il était sur le point d’entreprendre un long voyage à Constantinople et en Russie, quand il reçut de son père une lettre qui lui annonçait que le député de Tavistock était mort, et qu’il allait lui donner son siège à la chambre des communes. À cette époque, les grandes familles avaient encore de véritables bénéfices parlementaires, et lord John fut ainsi nommé député à l’âge de dix-neuf ans, un mois avant d’arriver à sa majorité. L’année suivante, nous le trouvons