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Lord Russell a une foi pleine dans l’antique constitution anglaise ; jamais il ne sépara dans son esprit l’autorité des communes de celle des lords et de la monarchie. « Si les privilèges héréditaires des pairs étaient détruits, écrit-il emphatiquement, la prérogative héréditaire du souverain serait aussi sacrifiée. — N’accrochez pas, a dit un orateur dans la chambre des communes, la couronne au clou d’une exception. — Le souverain n’hérite pas plus nécessairement de la sagesse que le duc de Norfolk. »

Le vieux whig revit tout entier dans ces lignes : il tient aux privilèges de la pairie autant qu’aux droits des communes ; il est fier en contemplant « dans une seule assemblée les descendans des Talbots qui ont combattu pour leur pays au XIVe siècle, avec le Napier qui a triomphé si récemment en Abyssinie, avec les héritiers de Marlborough qui a vaincu à Blenheim, de Wellington, le vainqueur de Waterloo, de Nelson mort à Trafalgar, de Cecil, le sage conseiller d’Elisabeth. » Il ajoute avec un suprême dédain : « Il est bien vrai qu’il n’y a pas d’éditeur de magazine qui ne s’engageât à fournir, si on lui donnait quelques jours, un meilleur sénat que la chambre anglaise des lords. » Quand la reine Victoria monta sur le trône, Russell était secrétaire d’état, et leader du parti ministériel dans les communes. « Je ne pouvais pas, dit-il, me dissimuler qu’il y avait dans la chambre des hommes qui s’éloignaient beaucoup de ces principes qui, sous la domination du parti whig, avaient maintenu la maison de Hanovre sur le trône, avaient protégé la liberté civile et religieuse, avaient préservé à travers tous les événemens la fidélité au trône et à la constitution. Je ne pouvais endurer en silence ni encourager des propositions tendant à détruire l’aristocratie ou à déraciner l’église d’Angleterre ; ma résistance fut couronnée de succès. » Le « dangereux petit radical » fut toujours un aristocrate, un royaliste, un anglican. « Quand, dit Montaigne, quelque pièce dans l’estat se démanche, on peut l’estayer ; on peut s’opposer à ce que l’altération et corruption naturelle à toutes choses ne nous esloigne trop de nos commencemens et principes ; mais d’entreprendre à refondre une si grande masse et à changer les fondemens d’un si grand bastiment, c’est à faire à ceux qui pour descrasser effacent, qui veulent amender les deffauts particuliers par une confusion universelle et guarir les maladies par la mort : non tam commutandarum quam evertendarum rerum cupidi. » Si on jette les yeux sur la liste des mesures que lord Russell a soutenues pendant sa longue carrière parlementaire, on verra en somme que sa politique intérieure a été marquée par la prudence aussi souvent que par l’audace, qu’il n’a jamais porté de coups volontaires aux grandes forces sociales et politiques qu’il a trouvées debout et qu’il