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mouvement commercial qui commence sur les marchés d’Apt et de Carpentras, et se propage sous une autre forme dans le monde entier des gourmands.

De la mi-novembre à la fin de mars, la place d’Apt, appelée « Place aux Truffes, » présente tous les samedis une animation singulière. C’est là que les rabassiers de la région apportent leur récolte de la semaine. Le marché ne s’ouvre guère avant dix ou onze heures du matin. Les paysans y arrivent avec leurs truffes soigneusement entassées dans des sacs ou dans des mouchoirs bien fermés, rarement dans les paniers. La quantité pour chacun d’eux varie de 20 kilogrammes à quelques grammes ; telle bonne femme déplie souvent un coin de mouchoir où sont précieusement serrées huit ou dix petites truffes : rien n’est à mépriser dans ces petits gains du pauvre offrant un produit de luxe pour avoir du pain. Sur cet étroit théâtre où la truffe est l’enjeu des transactions, acheteurs et vendeurs luttent de ruse et de finesse. On se tâte longtemps avant d’établir le prix du jour. Venus de Carpentras, où le marché s’est tenu la veille, les acheteurs en gros comptent sur la lassitude des vendeurs exposés aux intempéries, pendant qu’ils montent la garde près de leurs sacs ; ceux-ci, durs à la détente et bronzés contre le froid, luttent pied à pied contre la baisse systématique et tiennent bon en raison des besoins présumés de la demande. La matinée est aux petits lots, souvent achetés par les brocanteurs en vue de grossir leurs provisions et de revendre le tout dans l’après-midi ; c’est aussi le moment où la ville fait ses emplettes. Plus tard les prix en gros s’établissent, les achats se font, et c’est sur une voiture spéciale que les récoltes de la région d’Apt, acquises à beaux écus sonnans, prennent la route de Carpentras, centre de l’industrie des conservés et de l’expédition au dehors.

La recette des truffes, c’est ainsi qu’on appelle d’un mot du terroir le triage de ce produit, la recette porte à la fois sur la grosseur et sur la valeur intrinsèque des truffes mises en vente. L’acheteur en gros, rompu par une longue habitude à toutes les ruses du métier, se montre aussi sévère dans ce triage vis-à-vis du paysan qu’il se montrera coulant vis-à-vis de lui-même lorsqu’il s’agira du consommateur. D’abord il rejettera ces truffes bâtardes que nous apprendrons à connaître, la rousse, la caillette, etc. Il sera sans pitié pour les truffes avariées, gelées, molles, véreuses ; il recettera à outrance, sauf à prendre plus tard à moitié prix ce qu’il repousse au prix normal. Le triage, quant à la grosseur, se fait à la main pour les petits lots, au crible à travers les mailles plus ou moins larges d’une claie d’osier pour les parties considérables. Généralement on admet trois grosseurs. Les prix cités se rapportent aux truffes marchandes de première et deuxième classe ; la recette,