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l’avenir, tiennent moins à créer des familles durables. Je rencontrai fort peu d’enfans. Il semble que déjà c’est plutôt le passé que ce pays regarde. Nulle part, je crois, les morts ne tiennent autant de place. » On pourrait répondre que la rigueur exceptionnelle du climat de cette haute vallée explique suffisamment pourquoi la vie ne semble pas vouloir s’y fixer ; mais la statistique confirme cette vague impression d’une vitalité diminuée par le séjour des hauteurs. M. le docteur Bertillon a classé nos départemens par ordre de mortalité, et dans ses tableaux les régions montagneuses, comme les Alpes, la Savoie, le Jura, les Vosges, occupent en général les rangs les plus élevés. On peut donc se demander si, dans tout ce qui a été dit sur a l’air vivifiant des montagnes, » il n’y a pas une bonne part d’illusion, et si l’excitation passagère qu’un voyage en Suisse par exemple procure à un citadin fatigué de la vie d’affaires n’est pas en fin de compte une preuve peu concluante en faveur de la salubrité du séjour permanent dans une atmosphère raréfiée. C’est cette question que s’efforce de résoudre M. le docteur Jourdanet dans un volumineux ouvrage où il a consigné toutes les données qu’une longue expérience et une vaste érudition lui ont fournies à cet égard.

Lorsqu’on sait combien les conditions d’existence des végétaux changent avec les niveaux d’altitude, combien la flore des montagnes diffère de celle des plaines, il est impossible d’admettre a priori que la vie humaine puisse échapper aux conséquences des causes naturelles dont l’action se manifeste ainsi à tous les yeux ! Néanmoins l’on s’était borné jusqu’ici à signaler les symptômes passagers du malaise qu’éprouvent les voyageurs dans les ascensions des montagnes ; on n’avait rien remarqué de pareil chez les habitans des stations élevées du globe, on croyait assez généralement que l’habitude paralyse les effets nuisibles de la raréfaction de l’air chez les montagnards qui ont fait des niveaux aériens leur séjour définitif. Cette illusion ne résiste pas à une étude attentive des hautes stations. Après avoir exercé pendant dix ans au bord du golfe du Mexique, M. le docteur Jourdanet franchit la Cordillère, bien pourvu d’observations faites à la côte. « Ce changement de séjour, dit-il, m’éloignait à peine des localités torrides dont l’hygiène et la pathologie m’étaient devenues familières… Sans changer ni de peuple ni de latitude, je me trouvai subitement en présence d’un monde tout nouveau. » Les hommes, les conditions climatériques et les maladies qui en étaient la conséquence, tout paraissait transporter l’observateur dans un autre pays. Ce qu’il y avait de surprenant dans ce contraste, c’est qu’il n’était nullement conforme aux prévisions fondées sur l’abaissement de la température, qui caractérise les hautes régions : ce n’était pas là le passage d’un pays chaud à un pays froid ou tempéré situé sous une autre latitude. En arrivant sur le plateau d’Anahuac, M. Jourdanet s’attendait à rencontrer les signes de l’action habituellement corroborante des climats froids : des allures vives, un organisme