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situation, bonne et glorieuse sans doute, est exposée à de graves périls. Les Russes viennent d’opérer leur jonction avec les Autrichiens. Il faut pourvoir à tout, surveiller tous les points de l’échiquier, tenir les Prussiens en respect, prévenir les Anglo-Suédois qui menacent d’une descente par la Baltique. L’empereur a reçu d’heureuses nouvelles ; ses lieutenans, qui l’ont devancé dans leurs courses, sont déjà maîtres du Tyrol. Le 30 octobre, la forteresse de Braunau a ouvert ses portes, et c’est de là que Napoléon va s’élancer sur Vienne. En attendant, il est à Lintz. Que de labeurs encore ! que d’obstacles à vaincre ! Et comme il est urgent de frapper au plus vite un grand coup, sous peine de voir les premières victoires se tourner en désastres ! Pendant que l’empereur est à Lintz, François II lui fait demander un armistice. Napoléon, tout en refusant, ne s’oppose pas à ce que des pourparlers aient lieu entre ses aides-de-camp et les généraux autrichiens. Un des nôtres, le comte de Thiard, fut même attiré à une entrevue secrète par le prince de Lichtenstein, et au sortir de cette entrevue il s’empressa de rapporter à l’empereur les choses extraordinaires qu’il venait d’entendre. Le prince de Lichtenstein lui avait demandé s’il était vrai qu’il fût question d’un mariage entre le prince Eugène de Beauharnais et une princesse de la maison de Bavière, et, sur sa réponse affirmative, il avait ajouté : « Pourquoi vous arrêter en chemin ? Vienne n’a-t-elle pas aussi des princesses toutes prêtes, et la paix ne pourrait-elle pas être scellée par un autre mariage ? » L’empereur, à ces mots, s’écrie d’un premier mouvement : « Une princesse autrichienne ! oh ! non, jamais ! La France en serait révoltée ! Cela lui rappellerait Marie-Antoinette ! » Étonné pourtant qu’une communication si grave lui arrive fortuitement, il demande à M. de Thiard d’où vient cet épanchement du prince de Lichtenstein et comment il se fait que ce personnage l’ait choisi pour une telle confidence. M. de Thiard était issu de la plus haute noblesse de France, son père s’était battu pour Louis XVI dans la journée du 10 août 92, lui-même il avait servi sous le drapeau de Condé contre les armées de la république ; l’ancien aide-de-camp du duc d’Enghien était fier, brave, d’une aisance supérieure, et, comme il se croyait de niveau par le privilège de sa race avec tous les puissans de la terre, en toute occasion il avait son franc-parler. Ce n’était pas toujours jactance de sa part, c’était très souvent ingénuité d’allures. Les choses délicates à dire et qui eussent déconcerté les plus habiles, il les exprimait naturellement. Il répondit donc, sans le moindre embarras, qu’ayant fait partie de l’armée de Condé, il avait souvent combattu sous les yeux de Lichtenstein, et que, parlant les deux langues, il avait plus d’une fois servi d’intermédiaire entre les Autrichiens et le duc d’Enghien.