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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/164

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Ses caresses, ses dons, ses regards menaçans,
Ceux qui devant le crime, idole ensanglantée,
         N’ont jamais fléchi les genoux,
Et soudain, à sa vue impie et détestée,
         Sentent leur poitrine agitée
Et s’enflammer leur front d’un généreux courroux !

Avec sa piété presque filiale, M. Gabriel de Chénier s’ingénie pour nous convaincre que ces vers ne contiennent pas d’allusion aux regrettables triomphes de Marie-Joseph, à ses déplorables amitiés, à ses entraînemens ; l’opposition éclatante des deux parties de l’ode parle d’elle-même plus haut que tous les commentaires. Il n’est pas douteux que ce poème, si âpre en sa mélancolie, n’ait jailli de l’âme d’André sous une impression de contraste douloureux, dans un de ces instans où sa main se serait détournée avec tristesse de celle qu’avaient serrée tant de fois Collot-d’Herbois et Barère.


II

Cette note personnelle, cette plainte sur lui-même, ces retours sur sa destinée, sont assez rares dans les poésies composées à Saint-Lazare. L’inspiration principale est la protestation indignée contre l’iniquité et l’infamie triomphantes. Jamais n’a été mieux réalisé, plus justement et plus à la lettre, le mot célèbre : facit indignatio vatem. Le poète est inépuisable dans son éloquente invective. De quel air superbe il répond à ceux qui lui en feront le reproche un jour !


Sa langue est un fer chaud. Dans ses veines brûlées
         Serpentent des fleuves de fiel.
J’ai douze ans, en secret, dans les doctes vallées,
         Cueilli le poétique miel.
Je veux ouvrir un jour ma ruche tout entière.
         Dans tous mes vers on pourra voir
Si ma muse naquit haineuse et meurtrière…

Non, il n’était pas né pour la haine. D’ailleurs ce qu’il venge, ce n’est pas sa cause personnelle :


Ma foudre n’a jamais tonné pour mes injures.
         La patrie allume ma voix ;
La paix seule aguerrit mes pieuses morsures,
         Et mes fureurs servent les lois.

Voilà l’ardent et haut foyer de son inspiration. On peut croire par le résultat qu’il ne mettait aucune prudence dans l’expression de ses sentimens et qu’il les répandait dans l’âme de ses compagnons de captivité ; mais, quand il écrivait, il prenait quelques précautions