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REVUE DES DEUX MONDES.

— Depuis combien de temps vous êtes-vous quittés ?

— Depuis une heure environ. J’ai dû attendre pour quitter la Violette que le cheval du père Michelin fût reposé.

— Eh bien ! reconduis-le à Flamarande pour expliquer ta sortie, et va voir la comtesse, qui certainement te cherchera dès son réveil. Ne lui dis rien de ce qui s’est passé. Moi, je vais à Léville avec Charles, nous montrerons à Roger la pièce qui explique et justifie tous les faits, nous le calmerons et nous le ramènerons. Si ta mère me demande avant que je sois rentré, dis-lui que tu m’as rencontré en promenade botanique, et que tu ne sais pas quand je rentrerai.

Gaston ne fit pas d’objection. Il remonta à cheval et repartit, emmenant l’autre bête. Je suivis M. de Salcède, qui s’arrêta à la Violette et m’invita à déjeuner avec lui à la hâte. Nous ne nous étions couchés ni l’un ni l’autre, nous devions reprendre des forces. Une heure après, nous arrivions à Léville. Roger n’y était pas, il n’y avait point paru.

M. de Salcède, voyant l’inquiétude qui s’était emparée de moi, renferma la sienne. J’étais tombé dans une morne tristesse. Le chagrin de Roger, les résolutions désespérées qu’il pouvait prendre, les nouvelles douleurs qui frapperaient sa mère, tout cela était mon ouvrage. Et pourtant M. de Salcède ne me le faisait pas sentir. Il acceptait mon triste passé et me poussait à l’action, comme si j’eusse été pour lui le bon champion d’une bonne cause. — Allons, courage, me dit-il. Pour retrouver ceux qu’on veut joindre, il faut les chercher. Il n’y a que deux voies pour sortir d’ici sans reprendre celle que nous venons de suivre : l’une qui retourne à Flamarande en passant par Montesparre, et c’est probablement celle qu’il aura prise. Qui sait s’il n’aura pas voulu consulter la baronne ? Vous sentez-vous la force d’aller jusque-là ?

— Parfaitement ; mais vous, monsieur le marquis ?

— Moi, je prendrai l’autre chemin, celui qui rejoint la route de Clermont. Là je saurai s’il a monté au nord ou au midi, car, s’il persiste dans ses idées de voyage, il aura trouvé des chevaux de poste pour l’une ou l’autre direction.

— Mais il a maintenant environ deux heures d’avance sur nous ?

— Pour le moment, il est encore à pied, et je sais où je trouverai près d’ici un bon cheval pour me porter rapidement, tous ces paysans sont mes amis. Quant à vous, attendez ; vous en trouverez un sur votre route, à l’endroit que je vais vous désigner. — Il écrivit un nom et une adresse sur son carnet avec ces mots : « un cheval tout de suite pour M. Alphonse. »

Nous nous séparâmes, et en effet je trouvai à peu de distance une bonne monture qui fut mise avec empressement à ma disposition. Le nom d’Alphonse était comme un talisman.