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tissus, ou bien nous dirions avec Buffon : la vie est un minotaure, elle dévore l’organisme. Si au contraire nous voulions insister sur cette seconde face du phénomène de la nutrition, que la vie ne se maintient qu’à la condition d’une constante régénération des tissus, nous regarderions la vie comme une création exécutée au moyen d’un acte plastique et régénérateur opposé aux manifestations vitales. Enfin, si nous voulions comprendre les deux faces du phénomène, l’organisation et la désorganisation, nous nous rapprocherions de la définition de la vie donnée par de Blainville : « la vie est un double mouvement interne de décomposition à la fois général et continu. » Plus récemment Herbert-Spencer a proposé la définition suivante : « la vie est la combinaison définie de changemens hétérogènes à la fois simultanés et successifs ; » sous cette définition abstraite, le philosophe anglais veut surtout indiquer l’idée d’évolution et de succession qu’on observe dans les phénomènes vitaux. De telles définitions, tout incomplètes qu’elles soient, auraient au moins le mérite d’exprimer un aspect de la vie : elles ne seraient point purement verbales, comme celle de l’Encyclopédie : « la vie est le contraire de la mort, » ou encore celle de Béclard : « la vie est l’organisation en action, » celle de Dugès : « la vie est l’activité spéciale des êtres organisés, » ce qui revient à dire : la vie, c’est la vie. Kant a défini la vie : « un principe intérieur d’action. » Cette définition, qui rappelle l’idée d’Hippocrate, a été adoptée par Tiedemann et par d’autres physiologistes. Il n’y a en réalité pas plus de principe intérieur d’activité dans la matière vivante que dans la matière brute. Les phénomènes qui se passent dans les minéraux sont certainement sous la dépendance des conditions atmosphériques extérieures ; mais il en est de même de l’activité des plantes et des animaux à sang froid. Si l’homme et les animaux à sang chaud paraissent libres et indépendans dans leurs manifestations vitales, cela tient à ce que leur corps présente un mécanisme plus parfait qui lui permet de produire de la chaleur en quantité telle qu’il n’a pas besoin de l’emprunter nécessairement au milieu ambiant. En un mot, la spontanéité de la matière vivante n’est qu’une fausse apparence. Il y a constamment des principes extérieurs, des stimulans étrangers qui viennent provoquer la manifestation des propriétés d’une matière toujours également inerte par elle-même.

Nous bornerons ici ces citations, que nous pourrions multiplier à l’infini sans trouver une seule définition complètement satisfaisante de la vie. Pourquoi en est-il ainsi ? C’est qu’à propos de la vie il faut distinguer le mot de la chose elle-même. Pascal, qui a si bien connu toutes les faiblesses et toutes les illusions de l’esprit humain, fait remarquer qu’en réalité les vraies définitions ne sont que des créations de notre esprit, c’est-à-dire des définitions de noms ou