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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/46

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Les statistiques gouvernementales ne comptent à l’actif du schisme que les dissidens admis ou avoués par l’église, c’est-à-dire ceux qui depuis plusieurs générations ont réussi à échapper aux registres des paroisses du clergé orthodoxe. Ce n’est naturellement que le petit nombre. En dehors de ces raskolniks déclarés, il y a tous ceux que les actes publics continuent à inscrire parmi les orthodoxes ; il y a tous les raskolniks honteux ou déguisés qui craindraient de s’exposer à des poursuites ; il y a enfin toutes les sectes secrètes ou prohibées qui fuient obstinément la lumière. À défaut de recensement, il est une classe de documens d’où se peuvent tirer quelques données approximatives sur le nombre des dissidens. Ce sont les rapports du haut-procureur du saint-synode sur la fréquentation des sacremens dans l’église orthodoxe. Le règlement spirituel de Pierre le Grand remarquait déjà que l’éloignement pour l’eucharistie était le meilleur indice auquel se pût reconnaître un raskolnik[1]. Or sur les listes officielles, parmi les gens inscrits comme n’ayant pas participé aux sacremens, ont longtemps figuré plusieurs catégories de fidèles qui paraissent appartenir au schisme. L’analyse des tableaux officiels des confessions et communions pascales a conduit un écrivain russe à estimer à 9 ou 10 millions le nombre des dissidens[2]. Ce chiffre paraît un peu élevé, il ne dépasse cependant point les estimations habituelles des raskolniks. C’est par millions d’âmes que se comptent les dissidens, et c’est probablement entre 6 et 8 millions qu’oscille leur nombre réel[3].

Le nombre des raskolniks ne peut du reste, donner une juste idée de l’importance <iu raskol. Il n’en est point du schisme russe comme de la plupart des religions établies, la valeur ou l’influence n’en saurait être mesurée à un chiffre. Le raskol n’existe pas seulement à l’état d’église, de confession adoptée par tant ou tant de millions d’hommes ; c’est souvent une simple tendance, comme une pente vers laquelle inclinent beaucoup d’hommes demeurés dans l’orthodoxie officielle. La force du raskol est peut-être moins dans les adeptes qui le professent obstinément que dans les masses qui sympathisent sourdement avec lui. Au lieu de les avoir en haine ou en répulsion comme des rebelles et des hérétiques, le paysan ou l’ouvrier demeuré fidèle à l’église regarde souvent les vieux-croyans comme les chrétiens les plus pieux et les plus fervens, comme des chrétiens semblables à ceux des premiers temps,

  1. Règlement ecclésiastique de Pierre le Grand, édition russe et française du père C. Tondini, p. 188.
  2. Schédo-Ferroti, la Tolérance et le schisme religieux en Russie, pp. 153-154.
  3. S’il est difficile de déterminer le nombre total des dissidens, il l’est plus encore de fixer le chiffre des adhérons des diverses sectes. Des deux grands partis qui divisent le schisme, c’est le plus radical, le parti des sans-prêtres, qui semble aujourd’hui le plus on progrès.