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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/48

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superstitions et aux sectes populaires. Le raskol a grandi derrière le dédain de la noblesse comme derrière un retranchement, protégé contre les attaques de la civilisation par le mépris même des classes civilisées. Confinés dans le bas peuple, les préjugés et les erreurs du peuple étaient si bien à couvert que pendant plus d’un siècle et demi ils restèrent presque entièrement inconnus des hommes qui eussent pu les combattre. C’est seulement depuis quelques années que les Russes instruits ont eu la curiosité de pénétrer dans l’obscur dédale des croyances de la plèbe dissidente. Cette curiosité nouvelle, ce simple mouvement d’intérêt est un symptôme du rapprochement des classes, et c’est à ce rapprochement plus qu’à toute chose, c’est à la sympathie mutuelle des deux moitiés de la nation qu’il est réservé d’effacer au de redresser les aberrations religieuses des classes populaires.

Tout confiné, tout dédaigné qu’il fût, le raskol possédait deux élémens de puissance souvent liés ensemble, la moralité et la richesse. « Ces raskolniks, vous dit-on fréquemment, sont les hommes les plus sobres, les plus économes, les plus honnêtes. » Quand un propriétaire vous mène dans une cabane de paysan propre et bien tenue, si on lui demande ce que sont les habitans, il vous répond souvent : Ce sont des raskolniks, des vieux-croyans. Quand vous demandez à un chef d’industrie quels sont ses meilleurs ouvriers, il n’est pas rare de lui entendre dire : Ce sont des dissidens, des starovères. Ainsi dans l’Oural, la grande région industrielle de la Russie, la plupart des ouvriers sont des vieux-croyans fort attachés à leurs rites. Ces qualités d’ordre et d’économie se montrent même vis-à-vis de l’état, qui les a persécutés. « Les vieux-croyans, me disait le gouverneur d’une des provinces qui d’ordinaire sont en retard pour le paiement des impôts, les vieux-croyans sont les contribuables qui s’acquittent le plus régulièrement. Ces avantages moraux tiennent en partie aux préjugés des dissidens, et s’affaiblissent peu à peu avec ces préjugés. La répulsion de beaucoup d’entre eux pour certains usages, pour certains alimens, les préserve de tel ou tel vice, de tel ou tel défaut, de même que les prescriptions du Coran défendent parfois le musulman de l’ivrognerie. Le principe de la moralité des raskolniks n’est cependant pas dans leurs répugnances ou leurs préventions, il est encore moins dans leur culte. La morale dans les religions ne découle pas toujours directement du dogme, elle vaut souvent moins, souvent mieux que les doctrines. À l’honnêteté ou aux vertus des raskolniks, il y a en dehors de la religion deux causes, une cause nationale particulière au peuple russe et à l’origine du raskol, une cause générale qui dans tous les cas semblables agit en tout pays d’une façon analogue. La cause nationale, c’est que, le schisme étant sorti d’une révolte de la conscience populaire,