Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/511

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cardinal ? Les deux frères s’étaient tendrement aimés. L’aîné exerçait sur le cadet une sorte de protection tutélaire. Henri était venu à Paris pour se rapprocher du prétendant, pour se mettre à sa disposition. Pendant une des courses fréquentes de Charles, il reçut des ordres secrets de son père, s’éloigna furtivement et retourna à Rome. Le croirait-on ? Le vieux prétendant était jaloux de son fils aîné. Il le blâmait presque toujours, l’entourait d’un réseau d’intrigues mesquines et même révoltantes. Il préférait Henri-Benoît, et, en le poussant vers les dignités ecclésiastiques, il voulait sans doute procurer au fils chéri de sa vieillesse une retraite assurée. Charles ne se fit aucune illusion sur le tort que ce cardinalat ferait à sa cause. Il savait que jamais ni l’Ecosse ni l’Angleterre ne consentiraient à voir un de leurs princes devenir le sujet du pape. Il refusa de recevoir son frère, d’écouter ses explications ; leur union, qui avait été intime et tendre, fut à jamais brisée, et le cardinal d’York tâcha de se venger plus tard des outrages qu’il croyait avoir reçus d’un frère qui valait mieux que lui.

En 1748, le traité d’Aix-la-Chapelle vint pacifier le monde. La cour de France, voulant en finir avec un prétendant incommode, proposa de l’établir à Fribourg en Suisse. Elle promettait de lui faire une pension annuelle suffisante pour tenir sa cour ; il devait avoir une compagnie de gardes et une position digne de son rang. Charles repoussa ces offres bienveillantes et refusa de quitter Paris, ne voulant pas, disait-il, « obéir aux ordres de la maison de Hanovre. » Plus la fortune lui devenait contraire, plus il voulait se montrer fier. Prières, raisonnemens, menaces, tout fut essayé : à la fin, la cour de France perdit patience. Un soir que le prince se rendait à l’Opéra, sa voiture fut arrêtée ; il se vit entouré d’archers, essaya de se défendre, fut saisi, garrotté, transporté à Vincennes, enfermé dans un donjon obscur : véritable abus de pouvoir et que rien ne saurait justifier envers un prince malheureux ! Il ne resta que peu de jours en prison et fut conduit sous escorte à Pont-Beauvoisin, à la frontière de Savoie, où on lui rendit sa liberté.

Pendant les années qui suivirent cet événement, la vie de Charles est entourée de mystère. Il se rendit d’abord à Avignon, disparut, reparut à Venise, en Allemagne, en Pologne. Plusieurs fois il revint en cachette à Paris, où on voulut bien l’ignorer. Un vieux jacobite l’entraîna même à repasser la Manche. Déguisé en valet, se faisant appeler Smith, il partit pour Londres. Son guide l’introduisit dans la salle obscure d’une taverne de faubourg. Les conspirateurs avec lesquels il devait se mettre en rapport y étaient rassemblés ; aucun d’eux ne lui était connu. « Voilà le personnage que vous attendez, » leur dit son guide, puis il disparut. Se trouvant seul dans cette