vous verrez se produire une folle concurrence. C’est à qui briguera ce titre d’indigent, si peu fait cependant pour relever l’homme à ses propres yeux. Ainsi beaucoup d’efforts seraient accomplis en pure perte, car l’assistance qui dissémine trop ses secours ne soulage vraiment aucune infortune. — D’ailleurs à défaut d’une bienfaisance organisée, il existe dans les campagnes une bienfaisance de fait qui ne laisse mourir personne. Le paysan, si dur à l’économie comme au travail, ne refuse pas au malheureux un morceau de pain ; il le donne au mendiant étranger qui passe, à plus forte raison l’offrira-t-il au voisin qu’il connaît. Il n’y a guère que les misères provenant du vice, de l’inconduite, de la fainéantise obstinée, qui ne trouvent pas au village compassion et soulagement, et vraiment faut-il le regretter beaucoup, et n’y a-t-il pas comme une sorte de justice dans le traitement différent que reçoivent les malheurs dignes d’intérêt et les infortunes méritées ? — Qu’on n’oublie pas au surplus que l’assistance publique désintéresse l’assistance particulière, et que, lorsque les secours seront organisés, on renverra le pauvre au bureau qui les distribue. Ainsi on verra peu à peu disparaître deux vertus déjà trop rares, l’esprit de charité chez celui qui donne, l’esprit de reconnaissance chez celui qui reçoit.
A coup sûr ce raisonnement n’est pas de tous points inexact, mais il n’en constitue pas moins dans son ensemble une doctrine erronée qu’il importe de ne pas laisser s’accréditer. Lorsqu’on dit qu’en élargissant l’assistance publique on augmente le paupérisme, on dit une chose vraie peut-être, mais qui s’applique à tous les genres de bienfaisance, à la bienfaisance privée comme à la bienfaisance publique, et plus encore sans doute à celle-là qu’à celle-ci. N’est-ce pas en effet la charité mal faite, telle qu’elle se pratique dans les grandes villes, alors que celui qui demande surprend si facilement la bonne foi de celui qui donne, n’est-ce pas l’aumône répandue sans discernement qui augmente la mendicité ? Mais le secours donné avec circonspection, avec prudence, dans les conditions et dans les proportions où il se distribue au village, peut-il faire naître un paupérisme factice ? Il est difficile de le soutenir. Qu’on ne dresse donc pas ce fantôme du droit à l’assistance, moins à redouter dans les campagnes que partout ailleurs. Est-il bien vrai au surplus que l’infortune soit toujours secourue au village, même l’infortune imméritée ? Les habitudes d’assistance mutuelle sont-elles tellement dans les mœurs de nos populations rurales qu’on n’ait pas besoin de les stimuler ? Les ressources de nos paysans sont-elles toujours et partout si abondantes qu’elles puissent venir largement en aide à la misère d’autrui ? N’est-ce point cette misère et le mauvais accueil, volontaire ou involontaire, qu’elle rencontre qui