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DEUX CHANCELIERS

I.
LES MISSIONS DU PRINCE GORCHAKOF ET LES DEBUTS DE M. DE BISMARCK.

En inaugurant la longue et charmante série de ses Parallèles par le double récit de la vie de Thésée et de Romulus, le bon vieux Plutarque éprouve quelque embarras à justifier une pareille association de deux héros : il ne sait leur découvrir que des traits de ressemblance bien vagues en somme et peu concluans. « A la force ils ont joint l’intelligence ; tous deux ils ont enlevé des femmes, et pas plus l’un que l’autre ils n’ont été exempts de chagrins domestiques ; même ils ont fini l’un comme l’autre par s’attirer la haine de leurs contemporains[1]. » Ce n’est pas certes à des traits semblables, — qui d’ailleurs dans l’espèce porteraient presque tous à faux, — qu’en serait réduit l’écrivain de nos jours qui voudrait réunir dans une étude d’ensemble les deux figures les plus saillantes de la politique contemporaine : les deux chanceliers actuels de l’empire russe et de l’empire d’Allemagne. L’association, ici, se justifierait d’elle-même, car elle s’impose à tout esprit réfléchi, à quiconque a médité les événemens des quinze ou vingt dernières années. Le Plutarque moderne qui entreprendrait d’écrire la vie de ces deux hommes illustres résisterait facilement, il nous semble, à la tentation de trop rechercher ou de forcer les analogies dans un sujet où les rapprochemens abondent si naturellement et sans la moindre pression ; peut-être aurait-il plutôt à se mettre en garde contre des répétitions obligées et des redites fastidieuses en présence d’une

  1. Plutarque, Thésée, initio.