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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/77

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compatriotes qui croient vivre sous le règne paternel de Dieu.

Un grand nombre de dissidens ayant plus ou moins ouvertement professé des maximes de rébellion, le gouvernement russe, lorsqu’il se relâcha de ses rigueurs contre le schisme, fut naturellement conduit à exiger de toutes les communautés dissidentes un signe extérieur de soumission, une marque d’allégeance. Cette marque, c’est au service religieux qu’il la demanda, comme pour se mieux assurer que les doctrines de la secte n’avaient rien de séditieux. Des vieux-croyans, comme de l’église officielle, furent réclamées des prières pour le souverain, ou mieux, la suppression, l’omission volontaire de cette partie de la liturgie par les défenseurs scrupuleux de la liturgie nationale fut regardée comme un signe d’insubordination, de rébellion. L’absence de prière pour le souverain devait sembler d’autant plus choquante à l’oreille russe que dans les offices de l’église elle tient une place proéminente. Ce n’est pas un simple Domine salvum regem ou imperatorem, c’est une longue litanie où tous les membres de la famille impériale sont désignés un à un, et que la belle voix de basse des diacres récite avec une particulière solennité. C’est moins le chef civil de l’état que le protecteur de l’église, le défenseur de l’orthodoxie qui semble mentionné dans les ekténies de la liturgie russe. Or les formules byzantines de très pieux, très fidèle empereur, de souverain orthodoxe, les dissidens se refusent à les employer pour un prince qui à leurs yeux est tombé dans l’erreur.

Cette question de la prière pour l’empereur fut au xviiie siècle une des principales causes du schisme intérieur de la bezpopovstchine, de la rupture des pomortsy et des théodosiens. Les premiers, ayant appris que l’impératrice Anne envoyait inspecter leurs colonies du Vyg, s’étaient décidés à improviser une liturgie pour le souverain ; les théodosiens leur reprochèrent cette concession comme une apostasie. Les pomortsy avaient cependant eu aussi leurs scrupules ; ils consentaient à prier pour le tsar, non pour l’empereur, ce dernier titre étant, selon la plupart des raskolniks, un des noms sous lesquels se masque l’antechrist. En face de tels préjugés, il n’y a qu’à laisser les dissidens libres du choix des formules, bien peu se refuseront alors à donner à l’ordre légal cette marque de soumission. Les rigides théodosiens se sont eux-mêmes à cet égard singulièrement relâchés de leur première sévérité. Dans les communautés les plus opiniâtres de la branche la plus hostile du schisme, la raison et l’esprit de conciliation ont ainsi fini par pénétrer. On a vu dans ces dernières années les théodosiens de Préobrajenski, comme les vieux-croyans de Rogojski, envoyer à l’empereur des adresses de fidélité et à ses enfans des présens de noces. C’est à la tolérance publique de faire le reste, et dans la bezpopovstchine