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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/857

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LE MAJOR FRANS

à la soirée, où j’entendis des choses au moins très étranges sur le passé de Mlle Frances. Il est vrai qu’il faut se tenir en garde contre les médisances d’une petite ville ; d’ailleurs vous allez juger vousmême.

Parmi les dames auxquelles je fus présenté se trouvait une très jolie jeune veuve, aux yeux noirs, aux traits piquans, cousine éloignée des Roselaers, et dont la vue me fit regretter qu’elle ne fût pas la petite-nièce élue par la grand’tante. Je ne tardai pas à rabattre de mon premier enthousiasme, quand je l’entendis découdre sans la moindre pitié sur le compte de la pauvre Frances.

— Oui, disait-elle, nous avons été « bonnes connaissances » du temps que son grand-père commandait la garnison, mais amies, jamais. Elle était pour cela trop bizarre et de trop mauvais ton. Figurez-vous, monsieur, qu’un soir elle vint à une soirée de musique et de danse en robe montante de mérinos foncé, avec un col rabattu, une cravate de soie comme en porterait un jeune homme, et des bottines ! oh ! des bottines de roulier. Je crois vraiment qu’il y avait des clous dans les semelles…

— Peut-être ne savait-elle pas que l’on danserait, me permis-je d’objecter.

— Pas du tout ! on l’avait invitée huit jours d’avance. Et ne voilà-t-il pas que, deux jours après, à l’occasion d’une simple réunion de dames, elle nous arrive en grande toilette, décolletée, des diamans dans les cheveux…

— Lors du bal en question, elle a dîi faire tapisserie toute la soirée.

— Oh ! de quelque manière qu’elle fût habillée, elle trouvait toujours autant de danseurs qu’elle en voulait. Les jeunes officiers étaient tenus d’être galans envers la petite-fille du colonel ; d’ailleurs elle savait parfaitement attirer les cavaliers. Malgré toutes ses bizarreries, elle était entourée, complimentée, courtisée…

— Oui, mais pas considérée, interjeta une vieille fille. Ces messieurs ne songeaient qu’à la provoquer à des plaisanteries risquées ou à des sorties qui l’ont rendue célèbre.

— Enfin, repris-je pour savoir quelques particularités plus positives, que fit-elle pendant cette soirée dansante ?

— Elle fit ce qu’elle voulait, je pense. Elle déclara si catégoriquement sa résolution de ne pas danser ce soir-là qu’il ne fut plus question de l’y engager.

— C’est parce qu’elle craignait de ne pas trouver de cavalier, murmura de nouveau la vieille fille.

— Le fait est, reprit la jolie veuve, qu’il aurait fallu du courage à nos messieurs pour inviter une danseuse ainsi fagotée. Pourtant, à la fin du bal, quand le cotillon fut annoncé, elle dut bon gré mal gré y prendre part. Le lieutenant Willibald, adjudant de son grand-