— Le major Frans, répondit-elle, n’a eu que trop d’occasions de connaître les hommes.
— C’est-à-dire qu’après avoir trop cru aux brillans uniformes le major Frans a eu des déceptions, et qu’il en fait porter la peine à l’habit civil aussi bien qu’à l’habit militaire ?
— Vous vous trompez entièrement. Le major Frans a vu défiler sous ses yeux toute l’armée et tous les grades, il a vu aussi beaucoup d’habits noirs et de boutonnières décorées, et sa conclusion est que la discipline est encore le meilleur moyen de faire ressortir ce qu’il peut y avoir de bon dans un homme. Du reste il lui serait impossible de reconnaître une supériorité quelconque dans un sexe où règne et triomphe la médiocrité.
— Voilà qui n’est pas encourageant pour votre futur mari, Frances.
— Mon futur mari ! s’écria-t-elle en riant d’un rire amer, on voit bien, Léopold, que vous nous tombez des nues. Rassurez-vous, je ne me marierai pas.
— Qui sait ? Les circonstances…
— Écoutez, Léopold, si on vous a parlé de moi, on vous a dit du mal de moi. C’est pourquoi je ne vous en veux pas ; mais je vous prie de croire que je n’irai pas immoler ma fierté, ma dignité, ma personne, à de vils intérêts, à ce qu’on appelle un mariage de raison, la plus grande immoralité que je connaisse. Il ne manquerait plus que cela. Vous me direz, continua-t-elle avec une animation croissante, que ma résolution de rester libre et complètement maîtresse de moi-même m’expose à des traits envenimés à l’abri desquels me mettrait un mariage, et vous croyez que je serais assez lâche pour me réfugier derrière le don Quichotte ou le niais qui s’exposerait à les recevoir à ma place ! Oh ! que vous me connaissez mal, et comme j’aime mieux les affronter de face et avec le mépris dû à ceux qui les lancent ! D’ailleurs il n’y a pas de danger. Don Quichotte est mort, et sa descendance est éteinte.
Un homme averti en vaut deux. Je compris que, pour ne pas tout gâter’dès la première entrevue, il me fallait user de la plus grande prudence. Cepei-îdant je ne courais aucun risque à tenter une fausse attaque. J’étais un peu en avant d’elle. — Et si j’étais venu au château de Werve pour vous faire une telle proposition ? lui dis-je en me retournant brusquement.
— Quelle proposition ? dit-elle en fronçant les sourcils.
— Vous demander en mariage ?
— Moi ! Ce n’est pas vrai, dites que ce n’est pas vrai ! s’écriat-elle avec violence. Si c’était vrai, je vous planterais là en pleine bruyère, vous arriveriez au château comme vous pourriez, et voilà quelle serait ma réponse.