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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/869

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LE MAJOR FRANS

qu’elle ignore. Peut-être, tout vieux et courbé que je suis, trouverai-je quelque moyen de boucher les trous ; mais soyez sincère et dites-moi rondement…

— Je vous jure, général, que tout mon désir, comme je l’ai d’ailleurs promis à Mlle Moidaunt, est de vous éviter toute espèce de désagrément. Je voudrais simplement renouer les liens trop relâchés de notre famille, et mon vœu sincère serait qu’un Zonshoven eût le bonheur de guérir les blessures faites jadis par les Roselaer,

— Il faudrait bien des choses pour cela. Il faudrait d’abord beaucoup d’argent. Et, permettez, si je ne me trompe, les Zonshoven n’étaient pas riches.

— En effet, général. Ma grand’mère et ses enfans durent vivre de la pension allouée à la veuve du baron d’Hermaele, et cette pension s’éteignit avec elle.

— Et le roi n’a rien fait pour ses filles ?

— Que voulez-vous, mon oncle ? Le fils unique fut puissamment aidé, mais mourut à la fleur de l’âge. Le roi pouvait-il se rappeler ses sœurs ? Au surplus nous n’aimons pas à quémander les faveurs, et nous nous sommes jusqu’à présent tirés d’affaire par nous-mêmes comme nous avons pu.

— Vous me surprenez. Il y a pourtant à cette heure un Zonshoven ministre des affaires étrangères.

— C’est mon oncle paternel ; mais je l’estime peu. Il a fait un mariage d’argent, il a épousé des millions et une fille couleur de café qui les rapportait des Indes, dépourvue de toute éducation de tout esprit et même de cœur. Je suis du reste en froid avec lui et j’y resterai, car je devrais me mettre à genoux devant lui pour recouvrer ses bonnes grâces.

— Toujours le sang des Roselaersl

— Pardonnez, général ; je ne suis pas vindicatif, mais je suis fier. Pauvre et tenant à mon indépendance, j’ai vécu sobrement, sans besoins factices, je n’ai jamais aliéné ma liberté, et, pour tout vous dire, j’y tiens encore plus qu’à ma noblesse.

— Bravo ! bien parlé ! — proféra au fond du salon une voix qui n’était autre que celle de Frances, rentrée sans que je m’en aperçusse.

— Frances, reprit d’un ton amer le vieux général et comme si cette exclamation de sa petite-fille eût retenti à son oreille avec le son d’un reproche, il est dur à mon âge de devoir supporter des accusations même indirectes… Eh !

En ce moment, le capitaine reparut pour proposer au vieux baron une partie de piquet, pensant, disait-il avec une certaine ironie, que le général avait eu son entretien de famille, et que son remède habituel contre la mélancolie serait le bienvenu ; mais le général