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Page:Revue des Deux Mondes - 1875 - tome 9.djvu/871

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LE MAJOR FRANS

En avant, marche ! — Et, le prenant par le bras, elle l’entraîna hors du salon.

Elle rentra quelques minutes après, tandis que son grand-père cherchait à pallier ce qu’il y avait de peu encourageant dans la réception dont j’étais l’objet. Les manières de Frances envers moi étaient redevenues froides, hautaines, dénotant même du dépit et de l’irritation. Elle fit cependant un effort sur elle-même, et, comme le temps s’était remis au beau, elle nous proposa une promenade à trois dans le jardin.

En arrière du château se trouvait une ancienne volière vers laquelle nous nous dirigeâmes. La volière, très délabrée comme tout le reste, n’était plus qu’un poulailler régi par le capitaine. En montant, on arrivait à un kiosque en forme de coupole, dans le goût du xvm^ siècle, rongé par l’humidité, et qui ne servait plus qu’à protéger contre les vents du nord les promeneurs qui voulaient bien s’asseoir sur ses bancs vermoulus. Par compensation, une fois arrivé là, on jouissait d’une échappée magnifique sur la bruyère et les ondulations du terrain qui se succédaient à perte de vue. Frances admirait sans se lasser ce paysage à la fois étrange et simple ; mais je voyais son grand-père livré à de tout autres préoccupations que celles des beautés pittoresques. Toutes ces terres, les bois voisins, les fermes dont on distinguait la toiture, tout cela avait jadis constitué le domaine du château de Werve, tout cela aurait dû revenir à sa petite-fille, et il ne lui laisserait pas un pouce de terre.

— À propos, mon neveu, dit-il brusquement, que sont devenues les six autres demoiselles d’Hermaele, sœurs de votre mère ?

— Oh ! grand-papa, vous voulez savoir si le cousin Léopold a encore la chance de devenir riche, s’il n’a pas de ce côté-là quelque tante à héritage !

— C’est bien facile, me hâtai-je de répondre, trois sont mortes depuis longtemps ; deux autres se sont assez bien mariées, n’ayant pas reculé devant une mésalliance, mais elles ont des enfans ; j’ai encore une tante Sophie que le reste de la famille et moi soutenons de notre mieux.

— Ah ! une tante Sophie ! Est-ce que par hasard on aurait eu chez les d’Hermaele la bonne idée de lui donner pour marraine cette vieille sorcière de Sophie Roselaer ?

— Peut-être, général, mais je ne le sais pas au juste ; ma mère me parlait rarement du passé de la famille.

— Enfin il paraît qu’elle ne l’a pas désignée pour son héritière. Et sans doute que comme nous, Léopold, vous n’avez pas reçu communication de sa mort et que vous n’avez pas été invité à ses funérailles ? Pour ce qui me concerne, cela me laisse fort indifférent, ou

TOME IX. — 1875. 55