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troncs entrelacés de lianes qui se mirent dans le sombre miroir des eaux. L’enfant suit aussi l’ancien en plein fleuve ; il le regarde des heures entières, immobile, le lourd harpon à la main, épier le pirarucu gigantesque et le lamantin ou poisson-bœuf ; il le voit jeter le perfide covo le long des bancs de sable du bord, ou construire avec des bambous entre les récifs d’un rapide d’ingénieux culs-de-sac où doivent s’égarer et se prendre à la descente les nombreux essaims de poissons qui ont remonté la rivière à l’époque du frai.

Le trafic de la route du Madeira ne sera pas seulement alimenté par les productions immédiates du vaste plateau qu’elle doit traverser ; la flore des lointaines régions de l’Ande, y compris le versant occidental, lui réserve aussi d’opulens apports. Un des principaux lui sera fourni par les arbres à quinquina, qui croissent dans les Cordillères, et surtout aux sources du gigantesque Béni. Quel fiévreux a jamais réfléchi au chemin que ce précieux spécifique doit parcourir actuellement avant d’arriver à nos laboratoires de chimie ? Il faut d’abord que les cascarilheiros, comme on les appelle, — ce sont généralement des Indiens ou des métis à demi sauvages, — s’en aillent à plusieurs milliers de pieds au-dessus du niveau de la mer chercher les calysaias au feuillage roussâtre et luisant. Traversant d’immenses vallées que baignent des vapeurs d’azur, ils escaladent les pentes abruptes, franchissent les torrens furieux, trouent le fourré du mato-virgem. Pendant des mois, exposés à toute sorte de fatigues et de dangers, ils peinent sous le poids de leur charge liée en faisceau, puis ils reviennent au hameau le plus proche livrer à l’homme leur butin. Il va sans dire que dans ce commerce ils ne sont pas exploités d’une manière moins scandaleuse que les malheureux seringueiros ; on les oblige à se de faire de leur marchandise à moitié prix, on leur compte au double et au triple la poudre, le plomb et les quelques provisions de bouche qu’on leur avance : ce qui n’empêche point, tant est puissant parfois l’attrait du labeur nomade le plus ingrat, qu’à peine munis du peu dont ils ont besoin, les cascarilheiros recommencent le cycle de leur vie sauvage à travers les cols et les forêts de la Cordillère.

L’écorce de quinquina ou cascarille, ainsi dérobée aux solitudes les plus effrayantes de la nature, est emballée par les trafiquans dans de grands sacs de peau de bœuf non corroyée et transportée à dos de bêtes de somme jusqu’à la Paz, ville principale de la région ; de là, on l’embarque au port péruvien d’Arica, pour l’expédier par le cap Horn à destination de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Que de circuits et de transbordemens, que de temps et de peines perdus ! Le vrai et le plus court itinéraire de cette denrée, comme de tant d’autres produits qui se recueillent aux flancs, de