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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/101

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charme suivant leur naturel. Il y en a que l’Italie attira, mais ne convertit pas, comme Mabuse, qui resta gothique par l’esprit, par le faire, et ne rapporta de son excursion que le goût des belles architectures, et déjà celles des palais plutôt que des chapelles. Il y a ceux que l’Italie retint et garda, ceux qu’elle renvoya, détendus, plus souples, plus nerveux, trop enclins même aux attitudes qui remuent, comme Van-Orley, d’autres qu’elle dirigea sur l’Angleterre, l’Allemagne ou la France, d’autres enfin qui revinrent méconnaissables, notamment Floris, dont la manière turbulente et froide, le style baroque, le travail mince, eurent un extrême succès, furent salués comme un événement dans l’école, et lui valurent le dangereux honneur de former, dit-on, 150 élèves.

Il est aisé de reconnaître, au milieu de ces transfuges, les rares entêtés qui, par extraordinaire, ingénument, fortement, restèrent attachés au sillon natal, le creusèrent, et sur place y découvrirent du nouveau : témoin Quentin Matsys, le forgeron d’Anvers, qui débuta par un puits forgé, celui qui se voit encore devant le grand portail de Notre-Dame, et plus tard, de la même main naïve, si précise et si forte, avec le même outil de ciseleur de métal, peignit le Banquier et sa femme qu’on voit au Louvre, et l’admirable Ensevelissement du Christ qui est à Anvers.

Il y aurait, sans sortir de cette salle historique du musée de Bruxelles, une longue étude à faire et des curiosités à découvrir. La période comprise entre la fin du XVe siècle et le dernier tiers du XVIe, celle qui commence après Memling, avec les Gérard David et les Stuerbout, et qui finit avec les derniers élèves de Floris, par exemple avec Martin de Vos, est un des momens de l’école du nord que nous connaissons mal d’après nos musées français. On rencontrerait ici des noms tout à fait inédits chez nous, comme Coxcie et Connixloo ; on saurait à quoi s’en tenir sur le mérite et la valeur transitoire de Floris, on définirait d’un coup d’œil son intérêt historique ; quant à sa gloire, elle étonnerait toujours, mais s’expliquerait mieux. Bernard Van-Orley, malgré toutes les corruptions de sa manière, ses gesticulations folles quand il s’anime, ses rigidités théâtrales quand il s’observe, ses fautes de dessin, ses erreurs de goût, Van-Orley nous serait révélé comme un peintre hors ligne, d’abord par ses Épreuves de Job, ensuite, et peut-être encore mieux, par ses portraits. Vous trouvez en lui du gothique et du florentin, du Mabuse avec du faux Michel-Ange, le style anecdotique dans son triptyque de Job, celui de l’histoire dans le triptyque du Christ pleuré par la Vierge, ici la pâte lourde et cartonneuse, la couleur terne, et l’ennui de pâlir sur des méthodes étrangères, là la violence et les bonheurs de palette, les surfaces miroitantes,