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du moins par tous les hommes qui dépendaient d’eux ; ils armaient leurs sujets, faisaient tous les frais de leur équipement et de leur entretien, et les envoyaient ou les conduisaient eux-mêmes aux rendez-vous d’armée.

Pépin le Bref, Charlemagne et Louis le Pieux aimaient à se donner le titre de défenseurs des églises. Nous ne devons pas nous tromper sur cette expression : elle avait alors une signification fort différente de celle qu’elle aurait de nos jours. Avoir les églises dans sa défense ou dans sa mainbour, c’était, suivant le langage et les idées du temps, exercer sur elles à la fois la protection et l’autorité. La défense ou mainbour. était un véritable contrat qui entraînait inévitablement la dépendance du protégé. Un évêque ou un abbé en mainbour ressemblait fort à un laïque en vasselage. Il était soumis aux obligations de toute sorte que la langue du temps réunissait sous le seul mot de fidélité. Aussi devait-il prêter serment au prince. Il lui disait, en mettant les mains dans ses mains : « Je vous serai fidèle et obéissant comme l’homme doit l’être envers son seigneur et l’évêque envers son roi. »

Pour la nomination des évêques et des chefs de monastères, les règles anciennes n’avaient jamais été formellement abrogées ; il était encore admis en principe que l’évêque fût élu par le clergé avec l’accord de la population, l’abbé par les moines ; mais il fallait au préalable que le roi donnât la permission de procéder à l’élection. Il fallait ensuite que le choix des prêtres ou des moines lui fût soumis, et il pouvait l’annuler. Il était donc impossible qu’un homme fût évêque ou abbé sans l’aveu du roi. Le plus souvent, ce simulacre même d’élection libre disparaissait, et le roi nommait directement et sans nul détour l’évêque ou l’abbé. On peut voir dans les récits du moine de Saint-Gall de quelles sollicitations il était assiégé dès qu’un évêché devenait vacant. Charlemagne avait coutume de dire, au rapport du même chroniqueur : « Avec cette église ou cette abbaye, je puis me faire un fidèle. » Il distribuait en effet les églises et les monastères, à peu près comme il distribuait les comtés et les domaines du fisc. Les hommes qui aspiraient aux dignités ecclésiastiques n’avaient pas de plus sûr moyen pour y arriver que de servir la personne du prince. Ils entraient donc, dès leur jeunesse, dans le palais ; ils faisaient partie de ce qu’on appelait la milice palatine. Après avoir été durant plusieurs années les clercs du roi, ils obtenaient un évêché ou une riche abbaye. Il n’était pas rare que des laïques même reçussent du prince la direction d’un monastère et la jouissance des terres qui en dépendaient.

Il nous est parvenu un grand nombre de lettres d’évêques ou d’abbés qui vivaient sous Charlemagne et sous ses deux