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qu’elle lui entra dans l’œil. Les Cafres témoins de l’accident réussirent à tuer le reptile avec leurs javelots malgré l’obscurité de la nuit. L’œil de M. Swinburne enfla d’une manière effrayante, et il en perdit l’usage pendant plusieurs jours ; mais, grâce à une médication appropriée, l’accident n’eut pas d’autres suites. M. Mohr cite encore un cas tout à fait analogue, arrivé à un colon anglais dans les environs du port de Durban. Ce dernier déclare que la salive du serpent lui a causé une douleur intolérable, « comme s’il avait eu dans l’œil une goutte de plomb fondu, » et qu’il a gardé longtemps un affaiblissement de la vue.

Après avoir essayé d’abord une route dans la direction du nord-est, M. Mohr, ayant rencontré un obstacle insurmontable dans les troubles qui avaient éclaté parmi les tribus indigènes des Matébélé, dut revenir sur ses pas jusqu’au Tati, et de là remonter droit au nord. La vaste solitude qui s’étend d’ici jusqu’au Zambèse est sans cesse parcourue par des milliers d’éléphans, dont les terribles vestiges sont partout marqués dans la forêt : on y voit souvent sur une étendue de plusieurs lieues le sol fouillé, les branches cassées, parfois des arbres entiers abattus et dépouillés de leur écorce. Le bruit sauvage que font les troupeaux d’éléphans éloigne la plupart des animaux, excepté toutefois les buffles, que l’on rencontre ici en troupes nombreuses, et le petit rhinocéros noir, le méchant pedjami, qui en dépit de sa lourde apparence traverse d’un pied léger les plus hautes montagnes. Le pedjami, lorsqu’il a été frappé à mort par une balle à pointe d’acier reçue au défaut de l’épaule, fait demi-tour et s’enfuit au grand trot ; on le voit ainsi franchir encore une distance de 1,000 à 1,500 mètres, puis tomber subitement comme foudroyé. Il a l’odorat très fin, mais la vue assez basse : aussi, lorsqu’on se trouve sans armes sur le chemin d’un pedjami, il faut chercher à gagner vite un abri sous le vent de la bête.

On peut dire que ce pays est encore le domaine incontesté des animaux sauvages. Rien ne donne une idée de l’abondance incroyable du gibier de l’Afrique australe comme une promenade autour d’un des nombreux étangs parsemés dans cette région. A chaque pas, on aperçoit des traces d’éléphans, de buffles, de rhinocéros. L’éléphant, lorsqu’il sort de son bain de fange, frotte toujours son énorme corps contre le tronc d’un arbre voisin ; aussi trouve-t-on près des mares d’eau des arbres tout lisses et polis, où la boue sèche qu’on remarque à une grande hauteur sert encore à toiser la taille des colosses qui sont venus s’y frotter. L’éléphant d’Afrique ne se contente pas d’ailleurs de se plonger dans une mare, il se creuse sur les bords de l’eau une sorte de baignoire, assez large et profonde pour qu’il puisse y entrer tout entier, et terminée par un mur vertical ; il en asperge les parois d’eau puisée à la mare, puis se frotte la peau sur l’argile humide, qui, séchée à l’air, lui fait une sorte de cuirasse contre les morsures des innombrables insectes