Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/244

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens de son époque est précisément ce qui risque le plus de compromettre sa réputation plus tard. Quel jugement portera-t-on sur lui quand tous ces agrémens par où il séduisait ceux qui l’ont lu pour la première fois se seront fanés ? Assurément Lamartine est de son temps, et il a beaucoup fait pour lui plaire. Il en flattait les goûts par certains excès de rêverie sentimentale et de mysticité religieuse qui sont passés de mode. Aussi peut-on relever dans son œuvre des passages qui portent leur date et qui ont vieilli ; mais il y en a bien plus encore qui ne vieilliront jamais. La postérité a décidément commencé pour lui, et son jugement ne diffère pas trop de celui des contemporains. Le succès rapide de l’édition que nous annonçons en est une preuve.

Il est vrai de dire que les éditeurs n’ont rien négligé pour se montrer dignes de ce succès. Cette nouvelle publication des œuvres poétiques de Lamartine est faite avec un luxe de bon goût qui doit tout à fait satisfaire les connaisseurs. Le livre sort des presses de M. Pion, qui a fourni ses caractères les plus nets et les plus élégans ; l’exécution typographique et le choix des ornemens sont irréprochables. De plus, les éditeurs ont eu l’heureuse idée de reproduire les Méditations comme elles parurent pour la première fois en 1820. on y retrouve en tête de l’ouvrage cette devise tirée de Virgile : ab Jove principium, qui indiquait la pensée de l’auteur de tout rattacher à la religion. on y lit ensuite la préface timide du premier éditeur, qui ne paraissait pas s’attendre au succès éclatant du livre qu’il donnait au public. Il y rappelle la jeunesse de l’auteur, il ne se dissimule pas « ce que le travail et le temps pourront ajouter au mérite de ses ouvrages ; » il avoue que, « si quelques-unes de ces pièces s’élèvent à des sujets d’une grande hauteur, d’autres ne sont, pour ainsi dire, que des soupirs de l’âme. » Enfin il termine en disant : « Nous n’en présentons qu’un très petit nombre à la fois, nous réservant, d’après l’effet qu’elles auront pu produire, d’en donner incessamment un second livre ou de nous borner à cette épreuve. » L’intérêt de l’édition nouvelle consiste donc à nous remettre le livre devant les yeux tel qu’il fut publié en 1820. Nous nous retrouvons tout à fait dans la situation des lecteurs qui pour la première fois ouvrirent les Méditations, et nous comprenons mieux l’effet de surprise et de ravissement que leur causèrent ces vers tout à la fois antiques par l’élégance de la forme et nouveaux par les sentimens.


Le directeur-gérant, G. BULOZ.