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patriarcales qui sont le « Sésame, ouvre-toi » de la sainte montagne, contre une autorisation circulaire du protathos.

Saint-Pantéleimon est situé à l’ouest, sur le golfe d’Hagion-Oros ; les mulets ne mettent que trois heures pour franchir la crête au-dessus du couvent russe et redescendre sur Earyès, blottie dans les plis de l’autre versant. Nous nous élevons subitement, par des rampes en lacets, dans un paysage d’un vigoureux caractère ; aux maigres vêtemens des collines méridionales, aux fourrés de lauriers, de chênes nains et d’arbousiers, succèdent bientôt les robustes essences de nos pays, chênes, érables, châtaigniers et pins. La chanson des torrens invisibles monte du creux des ravins sous ces futaies séculaires ; le sentier plonge dans les plis où ils se dérobent, franchit leurs pierres roulantes, gravit des degrés pratiqués dans le rocher pour les pieds des mules, se perd de nouveau sous les halliers. En nous retournant, nous apercevons au-dessous de nous, à l’issue des gorges qui vont en s’évasant vers la côte, de grands triangles de mer endiamantés de soleil qui rient à l’ombre épaisse de ces forêts.

Nulle autre part, dans les sobres paysages du Levant, la nature ne déploie ce luxe alpestre et ne se produit avec cette intensité féconde. C’est ce qui rend si bizarre et toujours présent le contraste entre cette terre palpitante des puissances de la vie et le cadavre social qui y a élu son tombeau. Çà et là des maisons grises, des coins de champs cultivés apparaissent sur la montagne ; des robes noires sortent des portes et des sillons. D’autres croisent notre route, menant les bêtes de somme, les troupeaux, ou traînant la besace et le bâton du mendiant. — Sur le versant occidental surtout, dans les vallées élargies où les cultures et les pâturages trouvent place, ces ombres de vie se multiplient. Vu de haut, l’amphithéâtre qui s’étend à nos pieds jusqu’à la mer paraît habité et riant. Le front chauve de l’Athos, pyramide de pierre nue, toute dorée aux feux du midi, le domine à notre droite ; au-dessous de lui, les sapins et les érables se disputent seuls les régions hautes : sur les nombreux contre-forts qui en naissent et viennent mourir au bord de l’eau, des maisons isolées, des hameaux, des couvens, montrent leurs têtes blanches dans la verdure ; sur la côte, d’un dessin gracieux et accidenté, un cordon de monastères s’avance avec les promontoires, se dérobe avec les baies, profile ses tours féodales sur l’horizon de mer que ferment au loin, noyés dans une vapeur lumineuse, les sommets de Thasos, de Lemnos et de Samothraki.

Nous descendons à travers des vignes et une forêt de noisetiers, dont les fruits convertis en eau-de-vie représentent un des principaux produits du pays, sur les premières maisons de Karyès. C’est