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répétition en petit de la Descente de croix de Notre-Dame ; je négligerais mieux encore, pour arriver tout de suite, avec une émotion que je ne cacherai pas, devant un tableau qui n’a, je crois, qu’une demi-célébrité et n’en est pas moins un étonnant chef-d’œuvre, peut-être celle de toutes les œuvres de Rubens qui fait le plus d’honneur à son génie. Je veux parler de la Communion de saint François d’Assise.

Un homme qui va mourir et qui communie, un prêtre officiant qui lui tend l’hostie, des moines qui l’entourent, l’assistent, le soutiennent et pleurent, voilà pour la scène. Le saint est nu, le prêtre en chasuble d’or à peine nuancée de carmin, les deux acolytes du prêtre en étole blanche, les moines en robe de bure sombre, brune ou grisâtre. Comme entourage, une architecture étroite et sombre au sommet de laquelle il y a un dais rougeâtre, une échancrure de ciel bleu, et dans cette trouée d’azur, juste au-dessus du saint, trois petits anges roses qui volent comme des oiseaux célestes et forment une couronne radieuse et douce. Les élémens les plus simples, les couleurs les plus graves, une harmonie des plus sévères, voilà pour l’aspect. A résumer le tableau d’un coup d’œil rapide, vous n’apercevez qu’une vaste toile bitumineuse, de style austère, où tout est sourd et où trois accidens seulement marquent de loin avec une parfaite évidence : le saint dans sa maigreur livide, la petite hostie vers laquelle il se penche, et là-haut au zénith, au sommet de ce triangle si tendrement expressif, une échappée de rose et d’azur sur les éternités heureuses, sourire du ciel entr’ouvert dont, je vous assure, on a besoin.

Ni pompes, ni décors, ni turbulence, ni gestes violens, ni grâces, ni élégance, ni beaux costumes, pas une incidence aimable ou inutile, rien qui ne soit la vie du cloître à son moment le plus solennel. Un homme agonise exténué par l’âge, par une vie de sainteté ; il a quitté son lit de cendres, s’est fait porter à l’autel, y veut mourir en recevant l’hostie, a pour d’y mourir avant que l’hostie n’ait touché ses lèvres. Il fait effort pour s’agenouiller et n’y parvient pas. Tous ses mouvemens sont abolis, le froid des dernières minutes a saisi ses jambes, ses bras ont ce geste en dedans qui est le signe certain de la mort prochaine. Il est de travers, en dehors de ses axes ; il tomberait, se briserait à toutes les jointures, s’il n’était soutenu par les aisselles. Il n’a plus de vivant que son petit œil humide, clair, bleu, fiévreux, vitreux, bordé de rouge, dilaté par l’extase des suprêmes visions, et, sur ses lèvres cyanosées par l’agonie, le sourire extraordinaire propre aux mourans, et le sourire plus extraordinaire encore du juste qui croit, espère, attend la fin, se précipite au devant du salut, et regarde l’hostie comme il regarderait son Dieu présent. Autour du moribond, on pleure, et ceux qui