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la plus religieuse. Tel est du moins l’enseignement qui me paraît résulter de l’ampleur et de la puissance d’une âme. Sous ce rapport, il est unique, et de toutes manières il est un des plus grands spécimens de l’humanité. Il faut aller dans notre art jusqu’à Raphaël, Léonard et Michel-Ange, jusqu’aux demi-dieux, pour lui trouver des égaux, et par certains côtés des maîtres encore. Rien ne lui manque, a-t-on dit, excepté les très purs instincts et les très nobles. On trouverait en effet deux ou trois esprits dans le monde du beau qui sont allés plus loin, qui ont volé plus haut, qui par conséquent ont aperçu de plus près les divines lumières et les éternelles vérités. Il y a de même dans le monde moral, dans celui des sentimens, des visions, des rêves, des profondeurs où Rembrandt seul est descendu, où Rubens n’a pas pénétré et qu’il n’a même pas aperçues. En revanche, il s’est emparé de la terre, comme pas un autre. Les spectacles sont de son domaine. Son œil est le plus merveilleux des prismes qui nous aient jamais donné, de la lumière et de la couleur des choses, des idées magnifiques et vraies. Les drames, les passions, les attitudes des corps, les expressions des visages, c’est-à-dire l’homme entier dans les multiples incidens de la scène humaine, tout cela passe à travers son cerveau, y prend des traits plus forts, des formes plus robustes, s’amplifie un peu, ne s’y épure pas, mais s’y transfigure dans je ne sais quelle apparence héroïque. Il imprime partout la netteté de son caractère, la chaleur de son sang, la solidité de sa stature, l’admirable équilibre de ses nerfs, et la magnificence de ses ordinaires visions. Il est inégal et dépasse la mesure ; il manque de goût quand il dessine, jamais quand il colore. Il s’oublie, se néglige ; mais depuis le premier jour jusqu’au dernier, il se relève d’une erreur par un chef-d’œuvre, il rachète un manque de soin, de sérieux ou de goût par le témoignage instantané d’un respect de lui-même, d’une application presque touchante et d’un goût suprême.

Sa grâce est celle d’un homme qui voit grand et fort, et le sourire d’un pareil homme est délicieux. Quand il met la main sur un sujet plus rare, quand il touche à un sentiment profond et clair, quand il a le cœur qui bat d’une émotion haute et sincère, il fait la Communion de saint François d’Assise, et alors, dans l’ordre des conceptions purement morales, il atteint à ce qu’il y a de plus beau dans le vrai, et il est par là aussi grand que qui que ce soit au monde.

Il a tous les caractères du génie natif, et d’abord le plus infaillible de tous, la spontanéité, le naturel imperturbable, en quelque sorte l’inconscience de lui-même, et certainement l’absence de toute critique, d’où il résulte qu’il n’est jamais ralenti par une difficulté à résoudre, ou mal résolue, jamais découragé par une