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chercher de l’or en cachette dans des alambics ; un coureur à bout d’aventures qui se marie, par ordre pour ainsi dire, avec une fille charmante et bien née quand il n’avait plus à lui donner ni beaucoup de forces, ni grand argent, ni plus grands charmes, ni vie bien certaine ; un homme en débris, qui jusqu’à sa dernière heure a le bonheur, le plus extraordinaire de tous, de conserver sa grandeur quand il peint ; enfin un mauvais sujet adoré, décrié, calomnié plus tard, meilleur au fond que sa réputation, qui se fait tout pardonner par un don suprême, une des formes du génie, la grâce ; pour tout dire, un prince de Galles mort aussitôt après la vacance du trône et qui de toutes façons ne devait pas régner.

Avec son œuvre considérable, ses portraits immortels, son âme ouverte aux plus délicates sensations, son style à lui, sa distinction toute personnelle, son goût, sa mesure et son charme en tout ce qu’il touchait, on peut se demander ce que Van-Dick serait sans Rubens. Comment aurait-il vu la nature, conçu la peinture ? Quelle palette aurait-il créée ? quel modelé serait le sien ? quelles lois de coloris aurait-il fixées ? quelle poétique aurait-il adoptée ? Aurait-il été plus italien, aurait-il penché plus décidément vers Corrège ou vers Véronèse ? Si la révolution faite par Rubens eût tardé quelques années ou n’avait pas eu lieu, quel eût été le sort de ces charmans esprits pour lesquels le maître avait préparé toutes les voies, qui n’ont eu qu’à le regarder vivre pour vivre un peu comme lui, qu’à le regarder peindre pour peindre comme on n’avait jamais peint avant lui, et qu’à considérer ensemble ses œuvres telles qu’il les imaginait et la société de leur temps telle qu’elle était devenue, pour apercevoir, dans leurs rapports définitifs et désormais liés l’un à l’autre, deux mondes également nouveaux, une société moderne et un art moderne ? Quel est celui d’entre eux qui se fût chargé de pareilles découvertes ? Il y avait un empire à fonder : le pouvaient-ils fonder ? Jordaens, Crayer, Gérard Zeghers, Rombouts, Van-Thulden, Corneille Schutt, Boyermanns, Jean Van-Oost de Bruges, Téniers, Van-Uden, Snyders, Jean Fyt, tous ceux que Rubens inspirait, éclairait, formait, employait, — ses collaborateurs, ses élèves ou ses amis pouvaient tout au plus se partager des provinces petites ou grandes, et Van-Dyck, le plus doué de tous, devait avoir la plus importante et la plus belle. Diminuez-les de ce qu’ils doivent directement ou indirectement à Rubens, ôtez l’astre central et imaginez ce qui resterait de ces lumineux satellites ? Otez à Van-Dyck le type originel d’où est sorti le sien, le style dont il a tiré son style, le sentiment des formes, le choix des sujets, le mouvement d’esprit, la manière et la pratique qui lui ont servi d’exemple, et voyez ce qui lui manquerait. A Anvers, à Bruxelles, partout en Belgique, Van-Dyck est dans les pas de Rubens. Son Silène