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Ce ne fut qu’au mois de septembre 1868, huit mois avant le complet achèvement de la grande voie ferrée, que nous visitâmes les chantiers du côté du Pacifique. Ici c’étaient des Chinois qui faisaient presque toute la besogne, les Chinois, terrassiers modèles, sobres, disciplinés, intelligens, d’une habileté de main merveilleuse, d’une gaîté, d’une égalité d’humeur inaltérable, mais que les ouvriers américains repoussent pour la seule raison que, se contentant du plus modeste salaire, ils font baisser le prix de la main-d’œuvre. Autrefois on leur reprochait la couleur de leur peau ; mais, depuis que les noirs sont citoyens comme les blancs, on ne peut guère opposer ce motif d’exclusion aux hommes de race jaune. Ces émigrés asiatiques remplissent dans les deux Amériques un rôle des plus utiles et des plus féconds. Ce sont eux qui fouillent sans se plaindre le guano nauséabond des îles Chincha, eux qui, en dépit des fièvres pernicieuses qui les ont si cruellement décimés, ont courageusement ouvert, en attendant le percement du canal interocéanique, le chemin de fer de l’isthme de Panama ; ce sont eux qui ont construit en Californie pour les compagnies hydrauliques presque toutes les grandes lignes de canaux, et qui exploitent les placers trop pauvres dont les blancs ne veulent plus. Dans la disposition des jardins, des appareils d’arrosage, mais surtout dans les opérations de terrassement, ils n’ont pas leurs égaux ; c’est pourquoi on. les a employés de préférence, outre l’économie qu’on y a trouvée, aux travaux du chemin de fer Central-Pacific, et l’on a été plus que satisfait de leur précieux concours.

Si la traversée des prairies, des Montagnes-Rocheuses et même du grand désert américain compris dans le bassin intérieur s’est accomplie sans embarras, la traversée de la Sierra-Nevada n’a pu s’accomplir qu’au milieu de difficultés de tout genre, à la fin heureusement surmontées. Qui n’a pas vu ce rempart formidable de granit, ces alpes californiennes couvertes de neige, aux cols inaccessibles, aux ravins inextricables et profonds, ne peut se rendre compte de la presque impossibilité qu’il y avait à dessiner un tracé régulier à travers tous ces obstacles réunis. On a franchi cependant ce mur épais, comme on avait fait de la chaîne des Rocheuses, pour ainsi dire sans tunnel ; les galeries y sont courtes et peu nombreuses. La cote la plus élevée de la voie dépasse 2,000 mètres au-dessus du niveau de l’Océan. Les pentes atteignent presque 25 millimètres par mètre, alors qu’un article strict du cahier des charges, au début des chemins de fer en France, enjoignait de ne jamais dépasser 5 millimètres. Il y a sur ce chemin des courbes qui n’ont pas plus de 125 mètres de rayon. Eu égard au relief particulier du terrain, certains tunnels, certains viaducs, ont dû, eux aussi, affecter la forme circulaire. Sur aucune route ferrée, les