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dévoûment aux doctrines libérales. Il ne se gênait guère en effet pour tromper les gens de son parti. Dans ses relations avec le grand tribun Charles Fox, dont il était fier de se dire l’ami, ses mensonges allaient parfois jusqu’au cynisme. Il y a un épisode de sa vie qui se rapporte précisément à cette date, et qui nous le dévoile tout entier. On y voit à nu ses passions, ses lubies, ses fureurs, tout cela entremêlé de protestations de dévoûment éternel aux whigs, à l’heure même où il abuse de la confiance de Fox et l’associe indignement à ses faussetés. En 1785, le prince de Galles, qui était alors dans sa vingt-quatrième année, fut pris d’une passion folle pour une jeune veuve irlandaise, Mme Fitz-Herbert[1], et, comme l’adroite personne s’entendait parfaitement à enflammer et à repousser ses désirs, le prince avait conçu le dessein de l’épouser. Il se rendait souvent chez Mme Fox pour s’entretenir de son projet avec elle et son mari. Lord Holland, dans ses Mémoires du parti whig, raconte à ce sujet d’étranges détails qu’il tenait de Mme Fox elle-même. Il paraît que dans ces entretiens le jeune prince ne répondait aux conseils de Fox que par des scènes violentes. On aurait peine à croire, si la chose n’était attestée par de pareils témoins, jusqu’où allaient les emportemens de sa passion et de son désespoir. Mme Fox l’a vu pleurer à chaudes larmes, se rouler à terre, se frapper le front, s’arracher les cheveux et tomber en des convulsions nerveuses. Il jurait que son parti était pris, qu’il renoncerait à la couronne, vendrait ses bijoux, son argenterie, et ramasserait une somme suffisante pour fuir en Amérique avec celle qu’il aimait. Le 10 décembre 1785, Fox lui écrivit une longue lettre, espérant que, s’il lisait son argumentation à tête reposée, il en tiendrait plus compte que de ses conversations. C’était bien une argumentation en effet, une chaîne de raisonnemens serrés, pressans, et sous la forme la plus affectueuse. « Mon cher Charles, lui répondit le prince, votre lettre d’hier m’a fait plus de plaisir que je ne puis l’exprimer. J’y vois une preuve nouvelle de cette amitié, de cette affection vraie que l’ambition de ma vie est de mériter. » Or le bruit ayant déjà couru que le prince allait épouser Mme Fitz-Herbert, il ajoutait résolument, comme un homme revenu d’un accès

  1. Mme Fitz-Herbert était un peu plus âgée que le prince de Galles ; tous les contemporains s’accordent à dire qu’elle était d’une grâce accomplie. En ce qui concerne son caractère, on ne trouve pas le même accord dans les jugemens de l’opinion publique. Les uns en parlent comme d’une aventurière, bien qu’elle appartint à l’une des premières familles d’Irlande ; les autres ne lui refusent pas leur estime. Je dois dire que lord Brougham est de ceux qui l’ont jugée le plus favorablement. Dans son étude sur George IV, il dit que la passion du prince pour Mme Fitz-Herbert lui est un mérite qui rachète bien des souillures. (Voyez Historical Sketches of Statesmen who flourished in the time of George III, by Henri lord Brougham. Londres et Glasgow, 1856, vol. II, p. 11.)