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fut un premier pas dans la voie de la liberté religieuse. En 1855, on en fit un second. Le Danemark était alors un royaume constitutionnel, la charte de 1849 avait reconnu la liberté des cultes. Grundtvig, membre du parlement, reprit la tentative qui avait échoué vingt ans plus tôt devant les états. Son influence fut assez grande pour obtenir que le ministère Hall présentât lui-même la loi destinée à rompre les liens qui attachaient les paroissiens à leur pasteur. Aujourd’hui une liberté complète existe sur ce point.. Une autre loi, rendue il y a environ dix ans, va plus loin encore, et permet aux fidèles de se grouper et de se cotiser pour fonder des paroisses dites « électives, » dont ils nomment et paient les desservans. C’était encore une manœuvre grundtvigienne.

Grundtvig était rentré dans l’église dès qu’il avait cru pouvoir en faire partie sans violenter sa conscience. En 1830, il fut nommé pasteur à l’hôpital de Vartou, à Copenhague : il garda ce poste jusqu’à sa mort. Ses disciples l’imitèrent, ils évitèrent de faire un schisme, et vécurent comme lui dans l’église officielle, semblables aux jansénistes dans le catholicisme romain avant que la bulle Unigentius les eût excommuniés, ou comme les puseyistes dans l’église anglicane. En 1861, comme il célébrait le cinquantième anniversaire de son entrée dans les ordres, ses noces d’or avec l’église, Grundtvig reçut le titre honorifique d’évêque, tout en conservant ses fonctions à l’église de Vartou. Tous les dimanches, il prêchait devant une foule d’admirateurs et de disciples. Jamais il n’interrompit le cours de ses homélies hebdomadaires, si ce n’est pour quelques voyages en Angleterre et en Norvège. Ses études historiques et sa participation active aux travaux parlementaires pendant plus de dix ans ne le détournèrent jamais de ce devoir. A l’âge de quatre-vingts ans, son ardeur n’était point refroidie : son mâle visage, que ses anciens portraits nous montrent avec des traits si nobles et si purs, était sillonné de rides ; son corps s’était courbé sous le poids des ans, mais on voyait encore, à son regard plein de feu et de douceur à la fois, que le cœur avait conservé toute la chaleur de la jeunesse. Il parlait avec la même éloquence passionnée et enthousiaste ; cependant les calamités qui depuis quinze ans se sont appesanties sur le Danemark l’avaient frappé vivement ; souvent il faisait partager à ses auditeurs ses patriotiques angoisses ; d’autres fois, il se plaisait à rêver un avenir moins sombre, un âge meilleur, qu’il appelait de tous ses vœux, et que sa confiance dans le peuple danois lui faisait espérer. Des amis maladroits et fanatiques prenaient ces espérances pour des prédictions, et acclamaient le nouveau prophète envoyé de Dieu. Cela suffit pour donner prise à îa raillerie : le langage de Grundtvig rappelait trop souvent par ses images apocalyptiques le style de la Pythie de Delphes ; on se gaussa quelque peu à Copenhague du nouveau Daniel. On raconta