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Il est ruiné, il est déshonoré, il est dégradé, il devient digne d’être placé à la tête d’une commission de Milan, s’il s’inquiète des conséquences, funestes pour d’autres, que produira l’acquittement de la personne dont il a entrepris la défense. Ce serait un homme plus audacieux encore celui qui témérairement plongerait le pays dans l’irritation et la ruine, tant qu’il resterait une possibilité d’arrangement à l’amiable. Au nom de Dieu, au nom de tous ceux qui sont attachés à l’honneur et à l’équité, au nom de tous ceux que leurs souvenirs peuvent décevoir, que leurs désirs peuvent égarer, que leur aveuglement peut perdre, au nom des femmes et des filles de tous ceux qui aiment la décence, qui tiennent aux convenances morales, et qui se rappellent comment, — il y a de cela quelques années à peine, — les journaux ne pouvaient être ouverts sans crainte et sans dégoût par le chef d’une famille modeste et bien conduite, — je supplie la chambre de suspendre l’affaire, de la suspendre seulement, et de chercher s’il n’est pas encore possible d’échapper aux calamités qui nous menacent. La reine juge nécessaire pour la justification de son honneur que l’enquête soit poursuivie jusqu’à la fin, elle ne la fuit pas, elle rappelle, elle est prête à y répondre, du sein de son repos elle est venue affronter, je ne dis pas le péril, — il n’y a point de péril pour l’innocent dans ce pays de la loi et de la liberté, — mais les chagrins, les tourmens, les anxiétés, pour traverser cette pénible et, à mon avis, cette odieuse, cette épouvantable investigation. J’ai l’honneur d’être au service de sa majesté la reine, j’ai aussi l’honneur d’appartenir à cette chambre. Comme serviteur de la reine, je ne désobéirai point à ses ordres, et, si son honneur est en question, je le défendrai de mon mieux ; mais pour remplir loyalement mon devoir envers cette assemblée, je sens que je suis tenu de contrarier le désir de la reine et de lui dire : « Madame, si une négociation est encore possible, mieux vaut aller trop loin en vous reposant sur le pays et le parlement du soin de votre vengeance que de ne pas faire assez ; s’il est encore possible, votre honneur étant sauf, de détourner la ruine qui menace la nation, soyez prête pour tout le reste à tous les sacrifices. » Et s’il m’était permis de donner des conseils à ceux qui occupent la même situation à l’égard du roi, je leur dirais : « Agissez en honnêtes gens, ne regardez pas aux conséquences, donnez à votre souveraine les avis que l’affaire commande, sans craindre que le parlement vous trahisse ni que le pays vous abandonne. Ne craignez même pas qu’une disgrâce politique vous atteigne, car, si l’on devait vous chercher des successeurs, on ne les trouverait pas dans cette enceinte. »


Ce langage produisit une impression profonde sur la chambre des communes. Un des ministres, et non pas le moins illustre, M. Canning, soit que cette admonestation l’eût subitement touché, soit que les paroles de M. Brougham répondissent à une résolution