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commission de Milan leur a fait à tous le même accueil et qu’elle a écarté les bons, les sages, les véridiques, ceux qui ne disent rien sans peser leurs paroles ? Sunt in illo numero multi boni, docti, prudentes, qui ad hoc judicium deducti non sunt : multi impudentes, illiterati, leves, quos, variis de causis, vides concitalos. Brougham aime beaucoup ces souvenirs du barreau antique, et sa mémoire en est si richement pourvue qu’il trouve toujours à point la citation la plus appropriée. Ne pensez-vous pas que la suite s’adapte merveilleusement à ce qu’il veut dire ? Il a prouvé que toutes ces dépositions ont été acquises à beaux deniers comptant, c’est l’orateur latin qu’il charge de caractériser cette race d’hommes pour qui le serment est une comédie et le témoignage un jeu : quibus jusjurandum jocus est ; testimonium ludus ; existimatio vestra tenebrœ ; laus, merces, gratin, gratulatio proposita est omnis in impudenti mendacio.

Sur ce sujet, Brougham est inépuisable. Il sait bien que toute la cause est là, et que, s’il veut sauver la reine, il est obligé de détruire, comme il dit, les agens de la commission de Milan. Il l’a flétrie, cette commission ténébreuse, il l’a comparée, pièces en main, à la justice secrète de Henri VIII préparant par ordre la ruine de Catherine Howard ; maintenant voici le tour des témoins. Le contre-interrogaioire dont nous parlions tout à l’heure n’a été qu’une préparation et un prélude. Il faut le suivre quand il reprend une à une toutes les histoires contées par Majocchi et Mlle Demont, par Sacchi et Paturzo. Quelle vigueur et quelle verve ! On reconnaît un orateur nourri des modèles antiques, mais qui se souvient aussi des mémoires de Beaumarchais. Tout à l’heure il était impétueux, serré, pressant, à la façon de Démosthène, abondant et harmonieux comme Cicéron ; écoutez à présent, c’est le sarcasme de Figaro. Il a des traits sanglans, des mots à l’emporte-pièce. Voici une jeune Suissesse, autrefois servante chez la princesse de Galles, qui, attirée dans les filets de la commission de Milan, a déclaré que la maison de sa maîtresse était un mauvais lieu. Le fait est grave. L’accusation ne l’oublie pas, et des termes ignobles sont prononcés. Seulement l’accusation a négligé de dire que l’honnête servante avait placé une de ses sœurs dans ce mauvais lieu et qu’au temps même où elle tenait ce langage, elle était en instance pour en placer une autre. Il y a un mensonge ici, mensonge en action ou mensonge en paroles. Quand donc a-t-elle menti ? Quand donc a-t-elle dit vrai ? Le doute est impossible ; c’est sa conduite qui donne un démenti à son langage, sans quoi elle serait la dernière des créatures. Infâme, si elle a calomnié la reine pour gagner l’argent du roi, plus infâme encore, si elle a jeté ses propres sœurs dans le bourbier dont