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manquée. Nous ne savons pas, comme Ruysdael, faire un tableau de toute rareté avec une eau écumante qui se précipite entre des rochers bruns. Une bête au pâturage qui n’a pas son idée, comme les paysans disent de l’instinct des bêtes, est une chose à ne pas peindre. Un peintre fort original de notre temps, une âme assez haute, un esprit triste, un cœur bon, une nature vraiment rurale a dit sur la campagne et sur les campagnards, sur les duretés, les mélancolies et la noblesse de leurs travaux, des choses que jamais un Hollandais ne se serait avisé de trouver. Il les a dites en un langage un peu barbare et dans des formules où la pensée a plus de vigueur et de netteté que n’en avait la main. On lui a su un gré infini de ses tendances ; on y a vu, dans la peinture française, quelque chose comme la sensibilité d’un Burns moins habile à se faire comprendre. En fin de compte, a-t-il, oui ou non, fait et laissé de beaux tableaux ? Sa forme, sa langue, je veux dire cette enveloppe extérieure sans laquelle les œuvres de l’esprit ne sont ni ne vivent, a-t-elle les qualités qu’il faudrait pour le consacrer un beau peintre et le bien assurer qu’il vivra longtemps ? C’est un penseur profond à côté de Paul Potter et de Cuyp ; c’est un rêveur attachant quand on le compare à Terburg et à Metzu ; il a je ne sais quoi d’incontestablement noble, lorsqu’on songe aux trivialités de Steen, d’Ostade ou de Brouwer ; comme homme, il a de quoi les faire rougir tous : comme peintre, les vaut-il ?

La conclusion ? me direz-vous. D’abord est-il bien nécessaire de conclure ? La France a montré beaucoup de génie inventif, peu de facultés vraiment picturales. La Hollande n’a rien imaginé, elle a miraculeusement bien peint. Voilà certes une grande différence. S’ensuit-il qu’il faille absolument choisir entre des qualités qui s’opposent d’un peuple à l’autre, comme s’il y avait entre elles je ne sais quelle contradiction qui les rendrait inconciliables ? Je n’en sais rien au juste. Jusqu’à présent la pensée n’a vraiment soutenu que les grandes œuvres plastiques. En se diminuant, pour entrer dans les œuvres d’ordre moyen, elle semble avoir perdu toute vertu. La sensibilité en a sauvé quelques-unes ; la curiosité en a gâté un grand nombre ; l’esprit les a toutes perdues.

Est-ce là la conclusion qu’il faut tirer des observations qui précèdent ? Certainement on en trouverait une autre ; pour aujourd’hui je ne l’aperçois pas.


V

Avec la Leçon d’anatomie et la Ronde de nuit, le Taureau de Paul Potter est ce qu’il y a de plus célèbre en Hollande. Le musée de La Haye lui doit une bonne part de la curiosité dont il est l’objet.