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Quel est cet acide qui, dans la sécrétion du drosera, semble correspondre à l’acide chlorhydrique libre du suc gastrique des animaux ? La difficulté d’isoler du drosera une dose suffisante de suc digestif est cause qu’on n’a pu résoudre d’une manière certaine ce problème délicat de chimie physiologique. M. le professeur Frankland a pensé néanmoins que dans le liquide à lui soumis par Darwin il y avait de l’acide propionique, en tout cas un acide de la série acétique ou grasse. Outre cet acide du reste, Darwin admet que le même suc contient un ferment spécial analogue à la pepsine, et qui n’apparaît dans la sécrétion que sous l’influence d’une première absorption de matière animale soluble. Il se passerait là, chez la plante, l’analogue de ce que Schiff assure avoir lieu chez l’animal, dont l’estomac ne sécréterait la pepsine qu’après avoir absorbé certaines substances dites peptogènes. Quant à l’acide, s’il se produit chez le drosera sous l’influence d’un stimulant mécanique ou inorganique, la même chose a lieu pour l’estomac, qui, mécaniquement irrité, verse un suc acide sans avoir rien à digérer. S’il est vrai du reste que même des causes mécaniques ou la pression de corps inertes, tels que le verre pilé, déterminent chez le drosera les phénomènes qu’y provoque le contact des substances vraiment nutritives, l’action de ces dernières se distingue par une énergie plus grande et par la durée plus prolongée de l’inflexion des tentacules. C’est à ce signe surtout que se distingue la vraie digestion de ce qui n’en a que l’apparence, je veux dire le rabattement temporaire des tentacules sur des corps impropres à nourrir la feuille : dans ce dernier cas, les tentacules se relèvent assez promptement. Au contraire, appliqués sur une proie ou sur une substance digestible, ces organes ne se redressent qu’après avoir achevé leur tâche d’agens digestifs.

Il était curieux de savoir si l’albumen des semences, si le contenu azoté des grains de pollen seraient attaqués par le drosera. L’affirmative s’est dégagée des expériences faites dans ce sens. De cet exemple du pollen et de quelques essais faits avec des fragmens de feuilles de chou et d’épinard, il résulte que le drosera est dans une certaine mesure herbivore, mais que dans ce cas l’action digestive, à peu près nulle sur la cellulose qui forme la paroi solide des cellules, s’exerce spécialement sur le contenu azoté de ces organes.

En résumé, sauf les réserves sur quelques points de détail, l’ensemble des faits, des expériences, est favorable à l’idée d’une digestion foliaire chez le drosera. Rien ne manque à l’analogie entre la digestion animale et cette digestion végétale, ni l’acte préparatoire, capture de la proie vivante, ni l’acte essentiel, caractéristique, action dissolvante d’un suc acide et d’un ferment spécial sur des alimens de nature protéique comprenant toujours l’azote au nombre de leurs