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III. — l’aldrovandie.


Autant la dionée avec sa large rosette de feuilles étranges semble attirer l’attention des simples curieux, autant l’herbe obscure qui rappelle le nom du célèbre naturaliste bolonais Ulysse Aldrovandi semble se dérober aux regards même des botanistes les plus chercheurs. Plongée dans l’eau stagnante et souvent trouble de mares ou de fossés, elle y laisse flotter librement des tiges courtes, absolument dépourvues de racines, et qui portent, serrées en verticilles de sept à neuf rayons, de petites feuilles d’une structure très insolite que nous décrirons plus loin pour en faire connaître les fonctions. Rappelons d’abord les singularités de distribution géographique de ce type. Comme pour beaucoup d’autres plantes à vie aquatique, l’aire de cette distribution est à la fois très étendue et très fractionnée : très étendue en ce sens que deux des formes de la plante qu’on n’a pu bien caractériser comme espèces habitent l’une le Bengale, l’autre l’Australie, — très fractionnée en ce sens que les habitats de la forme européenne (aldrovanda vesiculosa, L.) sont disséminés à de larges intervalles en Italie, en France, en Allemagne, en Pologne et en Russie. En France même, elle a disparu d’Orange et des bains de Motlig (Pyrénées-Orientales) et ne se trouve plus qu’à Raphèle, tout près d’Arles et dans l’étang de la Canau (Médoc), non loin de Bordeaux. C’est donc par excellence une rareté botanique, et, bien qu’étudiée avec soin par des observateurs très sagaces, elle n’a livré qu’aux plus récens le secret de ses appétits carnivores. Encore tout n’est-il pas dit à cet égard. Il est bien possible que, sous le rapport de la digestion, l’aldrovandie tienne à la fois des droséracées, qui dissolvent par une sécrétion acide les proies vivantes ou les substances azotées, et des plantes qui, comme les utriculaires, absorbent principalement les produits plus ou moins décomposés des mêmes substances organiques : il y aurait là passage ou plutôt combinaison de deux régimes, l’un franchement carnivore par digestion, l’autre putrivore par simple absorption de matières désorganisées ; mais avant d’entrer dans ces hypothèses, examinons de plus près ce que la structure et les mouvemens des feuilles laissent deviner des appétits et des mœurs de l’aldrovandie.

Chaque feuille de cette plante se compose d’un pétiole élargi en coin et portant au-dessous de son articulation avec le limbe de quatre à six soies. Le limbe lui-même consiste en deux lobes arrondis presque toujours rapprochés comme les deux valves d’une coquille, et qui donnent à la feuille l’apparence d’une vésicule close, d’où le nom impropre de vesiculosa appliqué à l’aldrovandia de Monti. À vrai dire, il n’y a pas là de sac clos, et l’idée que ces