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vital. Le fait est plus probable encore pour ce qui touche aux substances végétales qui, d’après Darwin, subiraient en quelque mesure l’action digestive du suc sécrété par la feuille, si bien que la pinguicula serait à la fois herbivore et carnivore. Nul doute que ces débris végétaux n’échappent en grande partie à la digestion foliaire et ne se réduisent dans le sol à l’état d’humus, de terreau, matériaux de la sève brute dont les plantes font la base de leur alimentation ordinaire. Ainsi les pinguicula, quant à leur régime mixte, feraient le passage aux népenthes et aux sarraceniées. Mais, avant d’aborder ces dernières plantes, il faut s’arrêter quelques instants à des genres de la famille même des pinguicula qui vont nous montrer le modèle de pièges creux fonctionnant à la façon des souricières quand ils sont à l’air, et de nasses à poissons quand ils sont plongés dans l’eau ou dans un sol très humide.

Le premier de ces genres et le plus connu est celui des utriculaires. Répandu presque dans le monde entier, ce genre compte en Europe des espèces aquatiques, dont les fleurs jaunes, bizarres de forme et délicates de texture, émergent du miroir liquide, tandis que les organes végétatifs constituent sous l’eau un lacis de filamens enchevêtrés. De petites vésicules translucides, attachées aux fines découpures de chaque feuille, ont paru longtemps jouer, chez des plantes submergées et sans racines, le rôle d’appareils de flottaison : pure illusion du raisonnement, que l’observation a dissipée le jour où l’on a vu ces vésicules être habituellement remplies d’eau, et se révéler comme des engins de capture pour les animalcules dont fourmillent les eaux stagnantes. On ne saurait décrire ici la structure compliquée de ces petits appareils. L’orifice étroit qui en constitue l’entrée est défendu au dehors par des filamens raides et divergens, qui forment des espèces de chevaux de frise, opposant un obstacle aux insectes trop volumineux qui voudraient forcer l’entrée de la place. La pièce principale de l’engin est une sorte de clapet qui s’ouvre du dehors en dedans, comme une trappe libre pour l’entrée, mais obstinément close à la sortie : c’est une porte de prison refermée sur d’imprudentes bestioles, condamnées à la mort lente sans espoir de retour à la liberté.

Les victimes ordinaires de cette prison perpétuelle sont des crustacés lilliputiens (cyclopes, daphnies, cypris, etc.) ou de petites larves d’insectes. Toutes ne se laissent pas prendre dès l’abord : il en est qui semblent se méfier, qui rôdent autour de l’entrée fatale, hésitent, reculent, puis se lancent tête baissée dans la nasse, dont la valvule cède brusquement, se soulève et retombe derrière le prisonnier. Mme  Treat, qui décrit au long ces petits manèges, a vu même des larves allongées pénétrer lentement dans l’orifice, comme si la vésicule les avalait à la façon d’un serpent de petite taille