Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/723

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Que dirons-nous des songes et des prédictions des mourans ? Que Louis XIII, mourant, ait annoncé six jours d’avance la bataille de Rocroy et ait déclaré au prince de Condé que son fils, le duc d’Enghien, venait de remporter une grande victoire, nous ne verrons là rien de surnaturel. Le duc d’Enghien commandait. Les deux armées étaient en présence ; une bataille devait avoir lieu. Quoi d’étonnant que le roi ait voulu croire et ait cru à une victoire ? Que certains hommes sentent venir la mort, le fait n’a rien non plus d’extraordinaire. Pour quelques exemples, fort rares d’ailleurs, de semblables prédictions, combien d’erreurs ne pourrait-on pas raconter ! mais elles ont passé inaperçues. Un jour, on disait devant le docteur Sheridan, grand-père de l’illustre orateur, que le vent venait de l’est. « Qu’il souffle de l’est, de l’ouest, du nord ou du midi, s’écria-t-il, l’âme prendra son vol vers le point qui lui est fixé. » Ayant dit cela, il parut s’endormir ; quelques minutes après, on le trouva mort. Les histoires des grands militaires sont pleines de prédictions semblables ; ils étaient, la veille du combat, frappés d’un noir pressentiment, comme Moreau, comme Desaix, comme Cervoni, et un boulet ou une balle venaient justifier leurs craintes. « Lasalle, dit Napoléon, au milieu de la nuit, m’écrivit du bivouac, sur le champ de bataille de Wagram, pour me demander de signer sur l’heure le décret de transmission de son titre et de son majorat de comte au fils de sa femme, parce qu’il sentait sa mort dans la bataille du lendemain, et le malheureux avait raison. » Certes voilà des faits curieux, mystérieux en apparence, mais qui au fond n’ont rien de fantastique ni de surnaturel. Il serait intéressant de savoir combien la veille d’une bataille il y a de soldats pressentant leur fin et survivant, et combien, se croyant préservés des balles par je ne sais quelle heureuse fortune, vont périr sur le champ de bataille.

Les rêves sont quelquefois tout aussi étonnans ; mais quel est donc le songe qui s’est trouvé réalisé et dont l’authenticité n’est pas douteuse ? Parce que de grands esprits y ont ajouté foi, est-ce une raison pour y croire ? Il est temps que le merveilleux laisse place à la psychologie physiologique, qui seule peut expliquer les bizarres phénomènes qui se passent dans l’intelligence de l’homme endormi.

Il est certain que pendant le sommeil l’intelligence n’est que rarement anéantie, et que les idées, pour être confuses et flottantes, pour échapper à la mémoire, n’en existent pas moins. Un savant illustre, un des maîtres de la science moderne, nous disait récemment qu’il avait essayé, au moment du réveil, de se rappeler le songe qu’il faisait à ce moment même, et qu’avec un peu d’habitude il était arrivé à pouvoir le faire constamment. Eh bien, il ne lui était jamais arrivé d’être réveillé au milieu d’un sommeil profond : toujours il se rendait compte qu’il était au milieu d’un songe. D’ailleurs la rapidité de la pensée et du