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Comme celui de la physiologie, l’objet des sciences naturelles est plus complexe que celui des sciences astronomiques, physiques ou chimiques ; les faits sont moins simples, moins nets, les phénomènes plus compliqués, les expériences moins sûres, les déductions plus difficiles. Dans l’être organisé, végétal ou animal, des appareils multiples et variés remplissent des fonctions différentes qui s’influencent réciproquement. Les formes ne sont plus géométriques comme celles des astres et des cristaux : elles sont variables avec l’âge, puisque les êtres vivans naissent, s’accroissent et meurent. L’ensemble de ces êtres constitue une série progressive qui se compose de créatures de plus en plus parfaites, depuis ces organismes élémentaires et ambigus, intermédiaires entre le végétal et l’animal, jusqu’à l’homme, glorieux couronnement du règne organisé. Récemment encore aucune loi générale ne reliait ces êtres entre eux : on avait reconnu leurs affinités réciproques, traduites par la méthode naturelle en botanique et en zoologie ; mais la cause de ces affinités, celle du développement individuel, les liens qui unissent les végétaux et les animaux fossiles aux végétaux et aux animaux vivans, étaient inconnus. La théorie de l’évolution, émise par Lamarck[1] dès 1809, philosophiquement comprise par Goethe, définitivement formulée par Charles Darwin et développée par ses disciples, relie entre elles toutes les parties de l’histoire naturelle, comme les lois de Newton ont relié entre eux les mouvemens des corps célestes. Cette théorie, connue aussi sous les noms de darwinisme, transformisme, théorie de la descendance, a été maintes fois exposée. Mon but dans cette étude est de montrer qu’elle a tous les caractères des lois newtoniennes, et qu’elle s’appuie comme elles sur une concordance de preuves qui se multiplient tous les jours. Au jugement des esprits non prévenus et suffisamment doués, elles lui donnent donc le caractère de probabilité voisine de la certitude, postulatum de la vérité dans les sciences positives.


I. — continuité de la création. — atavisme.


Le point de départ de la doctrine de l’évolution, c’est la continuité de la création sur la terre, depuis la première apparition des êtres organisés jusqu’à l’heure actuelle. Cette continuité est une découverte des temps modernes. Au commencement et même au milieu du XVIIIe siècle, les naturalistes ne connaissaient guère que les végétaux et les animaux vivans. La paléontologie n’était pas encore née. Cependant, dès la fin du XVIe siècle, deux grands artistes, Léonard de Vinci et Bernard Palissy[2] avaient déjà annoncé que la

  1. Voyez une étude sur Lamarck dans la Revue du 1er mars 1873.
  2. Discours admirables des pierres, 1580 (Œuvres complètes), édition Cap, p. 275.