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s’est propagé en rayonnant pendant l’époque tertiaire du pôle vers les régions méridionales. Partout il a succombé par suite de changemens climatologiques auxquels il a été soumis, excepté en Chine et au Japon, où il est encore à l’état sauvage. Réintroduit en Europe en 1754, il s’accommode très bien des climats de l’Angleterre, de la France et de l’Italie. Voilà donc un arbre fossile encore vivant, ainsi que ceux mentionnés précédemment avec lui. Il en est de même du laurier-rose (Nerium oleander). Spontané dans le Var, la rivière de Gênes, la Sicile, le midi de l’Espagne, la Grèce, la Syrie, etc., il a été trouvé fossile dans les grès tertiaires inférieurs de la Sarthe, dont le climat présent lui serait mortel.

Ces deux exemples, auxquels nous pourrions en joindre beaucoup d’autres, suffisent pour démontrer que la flore actuelle n’est que la continuation de la flore fossile, puisque des espèces enfouies dans le sein de la terre vivent encore à sa surface ; mais le plus souvent l’identité des formes fossiles avec les formes vivantes n’est pas absolue : on trouve de légères nuances. Comment s’en étonner, puisque le climat auquel l’espèce actuelle s’est accommodée est différent de celui auquel l’espèce fossile était soumise ? Les influences du milieu ambiant sont encore manifestes de nos jours. En voyageant du sud au nord, ou en s’élevant de la plaine sur les Alpes et les Pyrénées, on voit les espèces se modifier. Les botanistes leur ont donné souvent des noms différens, mais on reconnaît très bien l’identité originelle en suivant pas à pas les modifications successives qu’elles subissent[1]. Le voisinage de la mer, l’humidité plus ou moins grande de l’atmosphère, la nature et la composition chimique du sol produisent des effets semblables. Il est grand, le nombre des espèces vivantes que l’on peut rattacher ainsi par voie de comparaison aux espèces fossiles ; mais il en est beaucoup aussi dont la généalogie n’est pas encore établie et ne le sera peut-être jamais. Toutefois on peut affirmer dès aujourd’hui que la flore actuelle est, par voie de descendance, la continuation de la flore tertiaire.

Cette descendance nous est encore démontrée par les phénomènes d’atavisme que nous présente le règne végétal. On entend par atavisme la réapparition chez les descendans de caractères ou de particularités qui existaient chez les ancêtres. En voici quelques exemples. Le gincko, dont nous avons parlé, a les feuilles d’une fougère, le tronc d’un arbre de la famille des conifères, des fleurs mâles en chatons comme celles des amentacées (peupliers, bouleaux, etc.), et une graine nue comme celle des Cycas. Ces faits et d’autres plus minutieux prouvent que les fougères sont les ancê-

  1. Le genévrier de la plaine devient le genévrier nain de la montagne, le Saxifraga aspera devient Saxifraga bryoides, le pin sylvestre pin de montagne, etc.