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Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 13.djvu/773

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soupçonnée. Guidé par l’instinct du génie, Laurent de Jussieu cherche et trouve dans l’embryon végétal les bases de la classification naturelle ; il comprend que cet état transitoire est le plus important de tous. Aujourd’hui nous savons pourquoi il en est ainsi ; c’est que, les végétaux ayant une origine commune, l’embryon résume en lui les traits primitifs, fondamentaux, qui s’effacent lorsque les végétaux se diversifient en se développant. L’ordre que Linné avait déjà établi dans la classification naturelle des végétaux[1] : acotylédones, polycotylédones (gymnospermes), monocotylédones et dicotylédones, Jussieu le conserve et le justifie ; puis il subordonne successivement les organes les moins importans aux plus importans. Empruntant après l’embryon ses caractères d’abord à ses enveloppes, c’est-à-dire à la graine, puis au fruit, ensuite aux étamines, à la corolle, au calice et enfin aux organes foliacés, il établit la série des familles naturelles. Or quel est l’ordre de cette série ? C’est précisément, l’ordre de l’évolution du règne végétal depuis les terrains primaires jusqu’à l’époque actuelle. Ainsi partant d’un principe rationnel, la subordination des caractères, Jussieu construit la série évolutive, qu’il ne connaissait pas, telle cependant que nous l’envisageons aujourd’hui. Quelle preuve plus convaincante de la vérité d’une doctrine pour tout homme réfléchi que de voir un grand esprit arriver par des voies différentes à un résultat confirmé un siècle après lui, grâce aux acquisitions et aux progrès des sciences de la nature ?

Le principe de l’évolution n’est point limité aux êtres organisés, c’est un principe général qui s’applique à tout ce qui a un commencement, une durée progressive, une décadence inévitable et une fin prévue. L’application de ce principe est destinée à hâter le progrès de toutes les sciences positives, et à éclairer d’un nouveau jour l’histoire de l’humanité : système solaire, globe terrestre, êtres organisés, genre humain, civilisation, peuples, langage, religions, ordre social et politique, tout suit les lois de l’évolution. Rien ne se crée, tout se transforme. Salomon l’avait déjà compris lorsqu’il disait : Nihil sub sole novi. L’immobilité, un recul définitif, sont des impossibilités démontrées par l’histoire et confirmées par l’expérience de tous les jours. Les changemens brusques, les restaurations violentes ou les bouleversemens complets sans racines dans le passé n’ont point de chances dans l’avenir. Le temps est l’auxiliaire indispensable de toute modification durable, et l’évolution de la nature vivante est le modèle et la règle de tout ce qui progresse dans l’ordre physique comme dans l’ordre intellectuel et moral.


Charles Martins.
  1. Philosophia botanica, p. 402.