Les Batailles d’Alexandre nous montrent toujours en belle place, au premier plan, le héros de l’action et le héros du tableau, Alexandre ; mais pourquoi Lebrun morcelle-t-il ses seconds plans et ses fonds en une infinité d’épisodes qui nuisent au groupe principal et enlèvent son unité à la composition, au lieu de peindre de grandes masses de combattans, comme l’a fait Raphaël, indiquant par leur position, la direction de leur marche, leur allure plus ou moins rapide, plus ou moins assurée, la situation présente et le but final de l’action ?
C’est de Van der Meulen que date la peinture officielle de batailles telle qu’elle est encore en honneur de nos jours. Nous entendons par peintures officielles de batailles les grands tableaux où il s’agit moins de représenter l’ensemble ou l’épisode saillant d’une action de guerre, que le héros qui a vaincu ou au nom duquel on a vaincu. Dans la peinture officielle, la bataille est personnifiée par le vainqueur, souverain, prince ou général, que ce vainqueur ait ou non pris une part effective au combat, que sa grandeur l’ait ou non retenu au rivage. Le Passage du Rhin, de Van der Meulen, excellent tableau en toutes ces parties, est à la fois le prototype et un des chefs-d’œuvre de ce genre. Au premier plan, à cheval, bien en vue, Louis le Grand, entouré de généraux et de gentilshommes, indique du bout de sa canne à un officier le lieu où celui-ci doit se porter. Derrière l’état-major, au troisième plan, des pièces en batterie canonnent la rive droite du Rhin pour protéger le passage. La partie gauche du tableau, en perspective, est remplie de cavaliers traversant le fleuve à gué par groupes de trois ou quatre. Aux derniers plans se dessine la rive ennemie avec ses villages, ses bouquets de bois, ses tertres verts, d’où font un feu nourri l’artillerie et l’infanterie des Hollandais. Le sujet est bien exprimé. C’est le portrait de Louis XIV que l’œil aperçoit d’abord, et l’action cependant n’est pas toute sacrifiée au roi. Les cavaliers qui passent le Rhin ne sont pas tellement éloignés qu’on ne puisse parfaitement les distinguer et s’expliquer leur action. Il en est ainsi de la plupart des tableaux de Van der Meulen. Voyez le Combat près du canal de Bruges. C’est la moine composition avec Louis XIV au premier plan, donnant des ordres à un officier-général qui galope chapeau bas à ses côtés, et dans le lointain des troupes traversant le canal. Voyez la Prise de Valenciennes : le roi n’a pas quitté le premier plan et continue à donner des ordres à un officier. A gauche, au second plan, deux compagnies d’infanterie sont rangées en bataille. Au fond, à l’extrémité d’une grande plaine sillonnée par des troupes marchant vers la place, s’estompent dans la fumée les fortifications de la ville assiégée.