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immense et magnifique armée qui aime son empereur comme un père, l’adore comme un dieu et est prête, s’il lui plaît, à poursuivre la conquête du monde.

Compris ainsi, comme une revue, non comme une bataille, le tableau de M. Meissonier gagne en clarté ; la composition se précise, le sujet apparaît. Au centre de la toile, au second plan, l’empereur domine toute la scène du tertre herbeux où il se tient à cheval. Son état-major se groupe à ses côtés. Derrière l’état-major, à droite, est arrêté l’escadron de service des guides, qui masque en partie un régiment d’infanterie, l’arme au pied. A droite aussi, mais à quelques pas en avant de l’empereur, quatre guides, le sabre au poing, avant-garde de l’escorte impériale, maintiennent leurs chevaux immobiles. Non loin de ces guides et sur le même plan, on voit un canon démonté et un schako de fusilier abandonné. Au fond, une longue colonne de cavalerie légère et d’artillerie à cheval, courant à fond de train, fuit dans la perspective. A la gauche de l’état-major s’allonge, du troisième au dernier plan, une longue colonne de grenadiers, massés par divisions. Venant de la gauche. au premier plan, ou, si on peut dire, en avant même du premier plan, sortant de la toile, débordant sur le cadre, un escadron de cuirassiers lancés au grand galop, passe comme un tourbillon devant l’empereur. Emportés dans une allure vertigineuse, debout sur les étriers, agitant les lattes en l’air, les cuirassiers crient tous d’une même voix un retentissant Vive l’empereur ! Chevaux bondissans ou enfoncés jusqu’au poitrail dans le blé vert, gestes désordonnés, épées tournoyantes en tout sens, corps haussés sur la selle, jambes raidies sur les étriers, visages animés, yeux brillans, bouches grandes ouvertes, tout crie l’enthousiasme. Excités par la rapidité de la course, par le vent qui leur siffle aux oreilles, par l’allure redoublée des sabots des chevaux, par l’éclair et le cliquetis des armes, électrisés par la vue de leur empereur, ces hommes ne savent pas s’ils vont à la tuerie ou à la parade. Et que leur importe ? Ils sont lancés, et rien ne saurait arrêter leurs élan. Ils enfonceraient un carré ennemi avec le même entrain qu’ils foulent ce champ de seigle aux pieds de leurs chevaux.

L’empereur, à ces acclamations, à la vue de ces héros obscurs qui ont sauvé l’armée à Eylau par cette terrible charge de quatre-vingts escadrons, alors que, cerné dans le cimetière, il avait dit à Murat en lui montrant les profondes colonnes des Russes : « Nous laisseras-tu manger par ces gens-là ? » l’empereur se découvre avec un geste plein de noblesse et de majesté, exempt de toute emphase et de tout caractère théâtral.

Derrière le premier escadron de cuirassiers, on voit d’autres