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retient longtemps. C’est une galerie de portraits et un musée de costumes. L’empereur, monté sur un cheval blanc, porte la petite tenue de chasseur à cheval de la garde : le frac vert, les culottes et le gilet blancs, la grande botte et le fameux petit chapeau, qui paraît immense aujourd’hui, qu’on semble craindre de couvrir la tête des soldats et des officiers. Ses traits marmoréens sont nettement accusés. Napoléon, qui a été tour à tour César et Auguste, a eu tour à tour le masque énergique, inquiet, ardent, romantique de César et le masque impassible et sévère d’Auguste. A mesure que le nouvel empire français s’édifiait à l’imitation de l’empire romain, la tête de l’empereur se modifiait et s’accentuait dans le type classique. Meissonier a voulu peindre la transition du consul à l’empereur. C’est déjà Napoléon, et c’est encore Bonaparte. Le corps commence à prendre un peu d’embonpoint, il tient mieux à la selle que dans le Passage du Saint-Bernard, de David. Ce n’est plus le maigre et nerveux héros de Marengo, mais le visage reste jeune, énergique, animé, assuré. A première vue, on est un peu déconcerté par ce portrait, car on a toujours à la mémoire le Napoléon à Eylau de Gros, le corps grossi par son épaisse pelisse fourrée, la face déjà envahie par la graisse. Gros, qui a la touche un peu lourde, fait de l’empereur un portrait ressemblant, mais ressemblant par anticipation. Son Napoléon n’est pas le Napoléon de 1807, c’est le Napoléon de 1812. Si on consulte la collection des monnaies napoléoniennes depuis l’an x jusqu’à l’année 1814, on sera convaincu que le portrait de Meissonier réalise mieux le type des pièces d’or et d’argent frappées en 1806[1] et en 1807 que ne le fait celui de Gros.

A la droite de l’empereur, cet officier qui porte en bataille son chapeau bordé de menues plumes blanches et dont le cheval impatient de la durée du défilé tire sur la bride en baissant la tête et fouille le sol du pied, c’est Berthier, maréchal de l’empire, major général de l’armée. La plaque de grand aigle de la Légion d’honneur étoile sa poitrine, et les" aiguillettes de l’état-major s’arrondissent en tresses d’or sur son frac bleu foncé. A côté de lui, cet officier décoré aussi des aiguillettes, est Savary, aide-de-camp de l’empereur. A gauche de Napoléon, voici Bessières, maréchal de France, colonel général de la garde. Derrière ces maréchaux et ces généraux se tient un officier d’ordonnance de l’empereur, reconnaissable à son uniforme entièrement bleu de ciel. Trois cavaliers

  1. Particularité curieuse qui sans doute a été déjà signalée : les pièces de 5 francs de 1808 portent en exergue sur la face : Napoléon empereur, et au revers : République française. C’est toujours la méthode des césars romains, qui gouvernaient en despotes tout-puissans de l’Asie sous le couvert de l’étiquette républicaine.