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Bruxelles ; il vous le dira avec la facilité d’informations qu’offre l’abrégé complet, véridique et très clair d’une histoire qui a duré deux siècles.

Je ne vous parle pas de la tenue du lieu, qui est parfaite. Beaux salons, belle lumière, œuvres de choix par leur beauté, leur rareté ou seulement par leur valeur historique. La plus ingénieuse exactitude à déterminer les provenances ; en tout, un goût, un soin, un savoir, un respect des choses de l’art, qui font aujourd’hui de ce riche recueil un musée modèle. Bien entendu, c’est avant tout un musée flamand, ce qui lui donne pour la Flandre un intérêt de famille, pour l’Europe un prix inestimable.

L’école hollandaise y figure à peine. On ne l’y cherche point. Elle y serait mal, hors de chez elle, pas dans son beau. Elle y trouverait des croyances et des habitudes qui ne sont pas les siennes ; elle y rencontrerait des mystiques, des catholiques et des païens, et ne ferait bon ménage avec aucun d’eux ; elle y serait avec les légendes, avec l’histoire antique, avec les souvenirs directs ou indirects des ducs de Bourgogne, des archiducs d’Autriche et aussi des ducs italiens, avec le pape, Charles-Quint, Philippe II, c’est-à-dire avec toutes choses et toutes gens qu’elle n’a pas connues, pas voulu voir ou qu’elle a reniées, contre lesquelles elle a combattu cent ans, et dont son génie, ses instincts, ses besoins, par conséquent sa destinée, devaient nettement et violemment la séparer. De Moerdick à Dordrecht, il n’y a que la Meuse à passer. Il y a tout un monde entre les deux frontières. Anvers est aux antipodes d’Amsterdam, et, par son éclectisme bon enfant et les côtés gaîment sociables de son génie, Rubens est plus près de s’entendre avec Véronèse, Tintoret, Titien, Corrège, même avec Raphaël, qu’avec Rembrandt, son frère d’origine, son contemporain, mais son intraitable contradicteur.

Quant à l’art italien, il n’est ici que pour mémoire. C’est un art qu’on a falsifié pour l’acclimater, et qui de lui-même s’altère en passant en Flandre. Il y a, dans la partie de la galerie la moins flamande, deux portraits de Tintoret, pas excellens, fort retouchés, mais fort typiques ; on hésite à les comprendre à côté de Memling, de Martin de Vos, de Van-Orley, de Rubens, de Van-Dyck, même à côté d’Antoine More. De même pour Véronèse : il est dépaysé ; sa couleur est mate et sent la détrempe ; son style un peu froid, sa pompe apprise et presque guindée. Le morceau est cependant superbe, de sa belle manière : c’est un fragment de mythologie triomphale détaché d’un des plafonds du Palais-Ducal, un des meilleurs ; mais Rubens est à côté, et cela suffit pour donner au Rubens de Venise un accent qui n’est pas du pays. Lequel a raison ? et à n’écouter, bien entendu, que la langue si excellemment parlée