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plus, toutes ses toiles sont posées à hauteur d’appui ; on les consulte sans aucun effort, elles vous livrent tous leurs secrets, à supposer que Hals fût un peintre cachotier, ce qu’il n’était pas. On le verrait peindre qu’on n’en saurait pas beaucoup plus long. Aussi l’esprit ne tarde pas à se décider, le jugement à se faire. Hals n’était qu’un praticien, je vous en avertis tout de suite; mais, en tant que praticien, il est bien un des plus habiles maîtres et des plus experts qui aient jamais existé nulle part, même en Flandre malgré Rubens et Van-Dyck, même en Espagne malgré Velasquez. Permettez-moi de transcrire mes notes : elles auront ce mérite d’être brèves, prises sur le fait, et de mesurer l’analyse des choses à leur intérêt. Avec un pareil artiste, on serait tenté d’en dire ou trop ou trop peu. Avec le penseur, ce serait bientôt dit; avec le peintre, on irait bien loin : il faut se tenir et lui faire sa part.

Numéro 54, 1616. — Son premier grand tableau. Il a trente-deux ans; il se cherche; il a devant lui Ravestein, Pieterz Grebber, Cornelisz van Harlem, qui l’éclairent, mais ne le tentent point. Son maître Karel van Mander est-il plus capable de l’orienter? La peinture est forte de tonalité, rousse en principe; le modelé est ronflant et pénible; les mains sont lourdes, les noirs mal vus. Avec cela, l’œuvre est déjà très physionomique. Trois têtes charmantes sont à noter.

Numéro 56, 1627, onze ans après. — Déjà lui, le voici dans sa fleur. Peinture grise, fraîche, naturelle, harmonie noire. Écharpes fauves, orangées ou bleues, fraises blanches. Il a trouvé son registre et fixé ses élémens de coloris. Il emploie le vrai blanc, colore en clair, avec quelques glacis, y ajoute un peu de patine. Les fonds bruns et sourds semblent avoir inspiré Pierre de Hooch et font penser au père de Cuyp. Les physionomies sont plus étudiées, les types parfaits.

Numéro 55, 1627. — Même année, meilleur encore. Plus de pratique, la main plus habile et plus libre. L’exécution se nuance, il la varie. Même tonalité; les blancs plus légers; le détail des collerettes indiqué avec plus de caprice. En tout, l’aisance et la grâce aimable d’un homme sûr de lui; une écharpe azur tendre, qui est tout Hals. Têtes inégalement belles, quant au rendu, toutes expressives et étonnamment individuelles. Le porte-étendard debout au centre, le visage en valeur chaude et franche sur la soie de la bannière, avec sa tête un peu de côté, son œil clignotant, sa petite bouche fine, amincie par un sourire, est de la tête aux pieds un morceau délicieux. Les noirs sont plus mats; il les dégage du roux, les compose, les amalgame d’une façon plus ample et plus saine. Le modelé est plat, l’air devient rare; les tons se juxtaposent sans transitions