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autant d’habileté pratique que dans Velasquez, avec les centuples difficultés d’une palette infiniment plus riche, car au lieu de se réduire à trois tons elle est le répertoire entier des tons connus, — telles sont, dans l’éclat de son expérience et de sa verve, les qualités presque uniques de ce beau peintre. Le personnage central, avec ses satins bleus et son justaucorps jaune verdâtre est un chef-d’œuvre. Jamais on n’a mieux peint, on ne peindra pas mieux.

C’est avec ces deux œuvres capitales, les numéros 55 et 57, que Frans Hals se défend contre les abus qu’on voudrait faire de son nom. Certainement il a plus de naturel que personne, mais ne dites pas qu’il est ultra-naïf. Certainement il colore avec plénitude, il modèle à plat, il évite les rondeurs vulgaires; mais, pour avoir son modelé spécial, il n’en observe pas moins les reliefs de la nature: ses figures ont leurs dos quand on les voit de face, et ne sont pas des planches. Certainement encore ses couleurs sont simples, à base froide, rompues; elles sentent aussi peu l’huile que possible; la substance en est homogène, le tuf solide, leur rayonnement profond vient de leur qualité première autant que de leurs nuances; mais ces couleurs d’un choix si délicat, d’un goût si sobre et si sûr, il n’en est ni avare ni même économe. Il les prodigue au contraire avec une générosité qui n’est guère imitée par ceux qui le prennent pour exemple, et l’on ne remarque pas assez grâce à quel tact infaillible il sait les multiplier sans qu’elles se nuisent. Enfin assurément il se permet de grandes libertés de main ; mais jusqu’alors on ne lui voit pas un moment de négligence. Il exécute comme tout le monde, seulement en montrant mieux son métier. Son adresse est incomparable, il le sait et il ne lui déplaît pas qu’on s’en aperçoive; sur ce point spécialement, ses imitateurs ne lui ressemblent guère. Convenez encore qu’il dessine à merveille, une tête d’abord et puis des mains, et puis tout ce qui se rapporte au corps, l’habille, l’aide en son geste, concourt à son attitude, complète sa physionomie. Enfin ce peintre des beaux ensembles n’en est pas moins un portraitiste consommé, bien plus fin, bien plus vivant, bien plus élégant que Van der Helst, et ce n’est pas non plus l’habituel mérite de l’école qui s’attribue le privilège exclusif de le bien comprendre.

Ici finit à Harlem la manière fleurie de ce maître excellent. Je passe sur le numéro 58-1639, exécuté vers sa cinquantième année, et qui, par un hasard malheureux, clôt assez lourdement la série. — Avec le numéro 59, qui date de 161, deux ans après, nous entrons dans un mode nouveau, le mode grave, la gamme entièrement noire, grise et brune, conforme au sujet. C’est le tableau des Régens