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bien une étoffe? Non. En exprime-t-il ingénieusement, vivement, les plis, les cassures, les souplesses, le tissu? Assurément non. Quand il met une plume au bord d’un feutre, donne-t-il à cette plume la légèreté, le flottant, la grâce qu’on voit dans Van-Dyck ou dans Hals, ou dans Velasquez? Indique-t-il avec quelques luisans sur un fond mat, dans leur forme, dans le sens du corps, l’humaine physionomie d’un habit bien ajusté, froissé par un geste ou chiffonné par l’usage? Sait-il, en quelques touches sommaires, et mesurant sa peine à la valeur des choses, indiquer une dentelle, faire croire à des orfèvreries, à des broderies riches? Il y a dans la Ronde de nuit des épées, des mousquets, des pertuisanes, des casques polis, des hausse-cols damasquinés, des bottes à entonnoir, des souliers à nœuds, une hallebarde avec son flot de soie bleue, un tambour, des lances. Imaginez avec quelle aisance, avec quel sans-façon et quelle preste manière de faire croire aux choses sans y insister, Rubens, Véronèse, Van-Dyck, Titien lui-même, Frans Hals enfin, cet ouvrier d’esprit sans pareil, auraient indiqué sommairement et superbement enlevé tous ces accessoires. Trouvez-vous de bonne foi que Rembrandt, dans la Ronde de nuit, excelle à les traiter ainsi? Regardez, je vous en prie, car en cette discussion pointilleuse il faut des preuves, la hallebarde que tient au bout de son bras raide le petit lieutenant Ruijtenberg ; voyez le fer en raccourci, voyez surtout la soie flottante, et dites-moi s’il est permis à un exécutant de cette valeur d’exprimer plus péniblement un objet qui devait naître sous sa brosse sans qu’il s’en doutât. Regardez les manches à crevés dont on parle avec tant d’éloges, les manchettes, les gants, examinez les mains. Considérez bien comment, dans leur négligence affectée ou non, la forme est accentuée, les raccourcis s’expriment. La touche est épaisse, embarrassée, presque maladroite et tâtonnante. On dirait vraiment qu’elle porte à faux, et que mise en travers quand elle devrait être posée en long, mise à plat quand tout autre que lui l’aurait appliquée circulairement, elle embrouille la forme au lieu de la déterminer. Partout des rehauts, comme on dit, c’est-à-dire des accens décisifs sans nécessité, ni grande justesse ni réel à propos. Des épaisseurs qui sont des surcharges, des rugosités que rien ne justifie, sinon le besoin de donner de la consistance aux lumières, et l’obligation dans sa méthode nouvelle d’opérer sur des tissus raboteux plutôt que sur des bases lisses; des saillies qui veulent être réelles et n’y parviennent pas, déroutent l’œil et sont réputées pour du métier original; des sous-entendus qui sont des omissions, des oublis qui feraient croire à de l’impuissance. En toutes les parties saillantes, une main convulsive, un embarras pour trouver le mot propre, une