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LA
RELIGION AU JAPON

On ne sait rien d’une nation, tant qu’on n’a pas scruté les ressorts secrets de sa vie morale et analysé les forces organiques dont un examen superficiel ne montre que les résultats. Sous les apparences extérieures, qui ne sont que des indices, l’observateur est impatient de découvrir les principes d’action, comme, sous l’enveloppe épaisse des muscles, l’anatomiste met à nu le réseau des nerfs. Après avoir essayé une tâche de ce genre à propos de la littérature dramatique et de la législation, nous voudrions interroger à leur tour les manifestations religieuses du Japon, pour en tirer une conclusion touchant la valeur morale et le génie intime du peuple japonais. Quelle étude semble au premier abord promettre plus d’enseignemens immédiats? N’est-ce pas dans les objets de son adoration, comme dans un miroir grossissant, qu’une nation aime à s’admirer elle-même, telle qu’elle est, ou plutôt telle qu’elle prétend être? L’homme fait ses dieux à son image. Pour beaucoup de peuples, le caractère national et le caractère religieux se confondent en un seul qui forme leur originalité dans la famille humaine. Qui pourrait concevoir dépouillés de leurs croyances le peuple d’Israël, les conquérans arabes, la catholique Espagne, l’Angleterre protestante? La foi et l’esprit de la race se sont si bien mariés ensemble qu’il devient impossible de discerner leur rôle particulier dans la genèse nationale, et que l’un ne peut échapper aux vicissitudes qui altèrent l’autre.

Il faut remonter à des époques et à des origines diverses pour retrouver les élémens de l’histoire religieuse du Japon. Pendant de longs siècles, le culte primitif, sorte de paganisme borné que nous étudierons sous le nom de shinto, régna sans partage. Au VIe siècle de notre ère, les doctrines bouddhistes se répandirent avec rapidité

et prirent possession du pays sans cependant anéantir l’ancienne croyance indigène. Avant même l’introduction du bouddhisme, les